Démystifier l’histoire des femmes au Québec

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Dans mon dernier article, la généalogie et l’histoire des femmes, je discutais des façons dont la généalogie peut éclairer l’histoire des femmes, que ce soit en mettant en lumière certaines oppressions (les injonctions au mariage et à la maternité, voire l’esclavage par exemple), ou encore leurs nombreuses contributions à la société, que ce soit au sein de la famille ou encore comme religieuses, sage-femmes ou couturières. Pour pouvoir faire ce travail de mise en lumière, il faut tout de même connaître un peu le contexte dans lequel les femmes évoluaient. Un bon point de départ pour ce faire est l’ouvrage L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles du Collectif Clio (1982). 

Le Collectif Clio était composé de quatre historiennes : Marie Lavigne, Jennifer Stoddart, Micheline Dumont et Michèle Jean. Le nom est inspiré de la mythologie grecque : Clio, fille de Mnémosyne, la déesse de la mémoire, est en effet la Muse de l’Histoire. Les quatre autrices semblent avoir été inspirées par des questionnements généalogiques. Elles ouvrent en effet leur livre avec cette courte anecdote :

À gauche, portrait de Clio, Muse de l’Histoire, réalisé par Johannes Moreelse ; à droite, portrait de Mnemosyne, déesse de la mémoire, réalisé par Dante Gabriel Rossetti. Source : Wikimedia Commons.

« Anne, sept ans, était assise dans le coin de la cuisine et cherchait ses aïeules. Comme si elle récitait une comptine, elle énumérait :  »Ma mère s’appelle Juliette, la mère de Juliette est Rebecca, la mère de Rebecca est Maria, la mère de Maria est Émilie… » […] Quand à l’école, on lui apprendrait l’histoire, personne ne pourrait lui dire ce qu’Émilie, son arrière-arrière-grand-mère avait fait » (Collectif Clio, 1982 : 9).

En effet, au moment où les quatre historiennes se réunissent, dans les années 70, il n’existait aucun ouvrage qui fasse une synthèse de l’histoire des femmes au Québec : c’est dans l’objectif d’en créer un qu’elles ont donc décidé de travailler ensemble. Elles voulaient notamment montrer que « Les femmes n’étaient pas que spectatrices, elles étaient également actrices de l’histoire » (Collard, 2012). Par là, elles n’entendaient pas seulement les « grandes femmes » comme Thérèse Casgrain ou Marguerite Bourgeoys, mais aussi les centaines de milliers d’Émilie, des femmes qu’on considérait comme « insignifiantes » (Collectif, Clio, 1982 : 9).

L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles peut donc nous en apprendre beaucoup sur ces femmes « ordinaires » qui se retrouvent souvent dans nos arbres généalogiques. Comme son nom l’indique, le livre couvre quatre siècles d’histoire, de 1617 à 1979. Il pourra donc nous être utile dans nombre de recherches généalogiques ! Divisé en six périodes (les commencements 1671-1701 ; la stabilité 1701-1832 ; les bouleversements 1832-1900 ; les contradictions 1900-1940 ; l’impasse 1940-1969 ; et l’éclatement 1969-1979), l’ouvrage traite d’une grande diversité de sujets. On y retrouve des détails sur les aspects souvent considérés comme « banals » de la vie (les modalités qui entouraient la vie familiale ou le travail par exemple), mais aussi des éclaircissements sur la manière dont des événements politiques importants, comme les grandes guerres ou les changements de régime, ont bouleversé la vie des femmes.

Couverture du livre L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles du Collectif Clio (1982)

En quatrième de couverture de ce livre du Collectif Clio, on peut lire « Certains diront peut-être : ‘’Encore un livre sur les femmes!’’ Ils se trompent. C’est un autre livre d’histoire. C’est l’histoire dite autrement » (Collectif Clio, 1982). Cette courte citation annonce déjà qu’il ne s’agit pas que de féminisme, mais bien d’avoir une vision plus complète de l’histoire. Elle résume bien l’intérêt que nous devrions porter, à mon avis, en tant que généalogistes, aux enjeux soulevés par le Collectif. Le livre a par ailleurs connu un vif succès (après tout, nous sommes encore en train d’en parler alors qu’il fête cette année son quarantième anniversaire) et a grandement contribué à faire avancer les choses, mais on ne peut pas dire qu’il n’y a aujourd’hui plus de travail à faire pour la reconnaissance de l’histoire des femmes. Une réforme du programme scolaire aiderait certainement, et comme généalogistes, nous pouvons aussi certainement y contribuer.

Malgré cette volonté d’universalisation, le Collectif Clio n’a pas pu tout couvrir : c’est bien normal, des angles morts, il y en a dans tous les livres d’histoire. Mais il faut tout de même éviter d’universaliser les expériences qui sont décrites dans L’histoire des femmes au Québec. Les femmes racisées (en particulier les femmes noires), les femmes autochtones, les femmes immigrantes, de même que les femmes lesbiennes, entre autres, sont parfois mentionnées, mais auraient certainement gagné à occuper une place plus importante dans l’ouvrage : après tout, elles ont, elles aussi, été partie prenante de l’histoire du Québec et il ne faudrait surtout pas l’oublier. On gagnera ainsi à lire le livre avec un oeil critique, en gardant en tête dans une perspective intersectionnelle que d’autres axes d’oppression, comme la race, conditionnent le vécu des femmes. L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles reste d’une grande utilité, en particulier pour analyser le vécu des femmes québécoises blanches et hétérosexuelles à travers les siècles.

Vous trouverez une foule de références pour creuser des sujets plus spécifiques dans la bibliographie de L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles. Je vous laisse aussi quelques suggestions d’ouvrages parus après la publication du livre du Collectif Clio et qui, par conséquent, ne peuvent pas s’y retrouver. Encore une fois, les vécus des femmes blanches et hétérosexuelles sont souvent au centre de ces ouvrages. Si vous avez d’autres références qui traitent de l’histoire des femmes au Québec en tête, n’hésitez pas à m’écrire, en particulier si celles-ci se concentrent sur la réalité des femmes marginalisées (immigrantes, non-blanches, non-hétérosexuelles, etc). Je pourrai les ajouter ici et nous pourrons ainsi constituer une banque de références sur l’histoire des femmes qui pourra sans aucun doute enrichir nos recherches généalogiques.

Audrey Pepin


Banque de références sur l’histoire des femmes :

Général :

Collectif Clio (1982). L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles. Montréal : Les Quinze, 521 p.

Bouchard, Serge, Lévesque, Marie-Christine et Back, Francis (2011). Elles ont fait l’Amérique. Montréal : LUX, 452 p.

Travail des femmes :

Bazinet, Sylvain (2020). Dictionnaire des artistes québécoises avant le droit de vote. Montréal : Sylvain Bazinet, 306 p.

Gousse, Suzanne (2013). Couturières en Nouvelle-France. Québec : Septentrion, 280 p.

Robert, Camille. (2017). Toutes les femmes sont d’abord ménagères. Montréal : Éditions Somme Toute. 180 p.

Autres références dans cet article :

Bernard, Jean-Paul (1983). « Le collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles ». Recherches sociographiques, vol. 24, no. 3, p. 423–428. 

Collard, Nathalie (2012, 8 mars). « Il y a 30 ans, le Collectif Clio ». La Presse. Récupéré de : https://www.lapresse.ca/arts/livres/201203/08/01-4503559-il-y-a-30-ans-le-collectif-clio.php 

Lequin, Lucie (1992). « L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles ». Canadian Woman Studies, vol. 13, no. 1, p.107-108.

Picard, Ghislain (2018, 26 septembre). « Non, les Autochtones ne sont pas des Amérindiens ». HuffPost Québec. Récupéré de https://quebec.huffingtonpost.ca/ghislain-picard/autochtones-pas-amerindiens-terminologie-colonialisme_a_23541813/