Nos ancêtres esclavagistes, partie 2

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Cet article fait suite à celui publié le 7 juillet 2021 et vise à mettre en évidence la présence d’autochtones et de noirs asservis au sein de la population française et anglaise de la vallée Laurentienne.

Source : Création Bernard Duchesne

Un cas bien connu d’un membre de l’élite ayant possédé des esclaves à Montréal est celui de James McGill. Ce grand marchand devenu magistrat et membre du conseil qui constitue le gouvernement de Montréal aura eu au moins cinq esclaves (McGill, 2021), dont Marie-Louise, une esclave noire :

« Le six février mil sept cent quatrevingt neuf, par moi prêtre soussigné, a été inhumé dans le cimetière proche de l’église, le corps de Marie Louise [Noire]appartenant a Mr Mcguil Ecuier Juge à paix, décédée d’hier, a l’Hotel Dieu de St Joseph, âgée de ____ ont été présent les sieur Baron et Duransaux montres soussignés. André Baron  [sic] »

Acte de sépulture de Marie Louise.
Source: Acte 572200, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

La croyance populaire veut que les esclaves du Québec ancien appartenaient surtout aux nobles de la Nouvelle-France. Or, seulement 38% des esclaves étaient asservis par des membres de cette strate sociale selon les informations disponibles aujourd’hui. 31% des esclaves appartenaient aux marchands, puis 31% des personnes asservies étaient sous le joug des membres des strates sociales plus basses, entre autres les voyageurs, les forgerons et les cultivateurs (Dupuis, 2020).

Parmi cette dernière strate de la population, nous retrouvons François Campeau, un forgeron et un esclavagiste de deuxième génération qui a possédé au moins deux esclaves autochtones : Marguerite, décédée à 15 ans, et une anonyme, décédée à 13 ans.

         « Lan mil sept cent trente sept le huit de janvier, je soussigné Jean Bouffandeau pretre du seminaire de (?)ay inhumé dans le cimetière des pauvres le corps de Marguerite sauvagesse âgée d’environ quinze ans ayant appartenant a Francois Campau forgeron décédé hier en la communion de laditte Église Romaine ont été présent led. Campeau et Simon Mongino  [sic] »

Acte de sépulture de Marguerite.
Source: Acte 151707, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Quelles étaient les tâches effectuées par Marguerite chez ce forgeron? Pourquoi vivait-elle dans ce foyer? Il est difficile de répondre à ces questions, mais les archives biographiques nous permettent de spéculer sur son quotidien.

François Campeau, marié en 1698 à Montréal à Marie-Madeleine Brossard, aura un total de 14 enfants. Marie-Madeleine décède en 1729, ce qui pourrait correspondre à l’année d’achat de Marguerite. Nous ne connaissons pas la date d’arrivée de Marguerite en Nouvelle-France, mais nous savons que les esclaves autochtones arrivaient jeunes sur le territoire (Trudel, 2004).

Si c’est le cas, elle serait alors arrivée dans la famille Campeau aux alentours de 8 ans et la maisonnée aurait été composée de François Campeau ainsi que 6 de ses garçons et 3 de ses filles, tous célibataires et âgés de 11 à 30 ans. Il serait donc tout à fait possible que Marguerite, autochtone asservie, effectuait des tâches domestiques dans le ménage pour aider aux besoins de la famille suite au décès de Marie-Madeleine.

Il s’avère que les Campeau deviendront une grande famille esclavagiste. Le père de François Campeau, Étienne Campeau, est le premier d’une lignée de cinq générations de propriétaires d’esclaves. Sans être très riches et issus de professions modestes telles que maçon, charpentier et forgeron, cette famille bâtie un réseau esclavagiste s’étalant de Montréal à Détroit.

La famille Campeau n’est pas un cas isolé. Des recherches biographiques nous ont permis d’en connaître davantage sur les différentes familles esclavagistes, entre autres les familles Demers, Boyer, Hervieux et Parent, qui auront des esclaves pendant au moins trois générations. S’ajoutent les familles riches esclavagistes : les Baby, les Tarieu de Lapérade, les Lemoyne de Longueil, les Lacorne Saint-Luc et les Fleury D’eschambeault, pour ne nommer que celles-ci.

Plaque commémorative d’Olivier Le Jeune, premier esclave et résident africain en Nouvelle-France

On trouve même la trace d’esclaves chez les familles des deux derniers Premiers ministres du Québec : Guillaume Couillard (ancêtre direct de Philippe Couillard), propriétaire d’Olivier Le Jeune, premier esclave noir connu sur le territoire, et Charles Legault Deslauriers père (ancêtre direct de François Legault), propriétaire d’une jeune Panise autochtone décédée à 10 ans :

         « Le cinq aout mil septcent soixante et sept a été inhumé dans le cimetière le corps d’une panise Baptisée décédée d’hier âgée d’une dixaine d’années appartenante a Charles Legault dit deslauriers pere. A été présent jacques perrier led au qui a signé avec moy  [sic] »

Sépulture de la Panise appartenant à Charles Legault.
Source: Acte 368509, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

En conclusion, j’espère avoir démontré avec cet article que les propriétaires d’esclaves n’étaient pas nécessairement bien nantis et appartenaient à des milieux et classes variés. On retrouve en Nouvelle-France des esclaves noirs et autochtones chez plusieurs familles et institutions, dans toutes les strates sociales, ainsi que dans toutes les régions de la vallée Laurentienne, de la Gaspésie à Détroit.

Cathie-Anne Dupuis
MSc Démographie,
Candidate au doctorat en histoire.

BIBLIOGRAPHIE
Dupuis, 2020. Étude comparée de la mortalité des esclaves noirs et des esclaves autochtones du Québec ancien (1632 – 1834), mémoire en démographie, Université de Montréal.
McGill, 2020. Qui était James McGill? James McGill – 1744-1813, [en ligne] URL : https://www.mcgill.ca/about/fr/histoire/jamesmcgill (page consultée le 6 juillet 2021)
Trudel, Marcel, et Micheline D’Allaire. 2004. Deux siècles d’esclavage au Québec. Montréal: Hurtubise HMH.