Nos ancêtres esclavagistes, partie 1

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Ma dernière publication, La trace des esclaves dans les registres de la Nouvelle-France, a démontré comment la présence d’esclaves autochtones et noirs sur le territoire du Québec est décelable au travers des archives paroissiales. Cette première étude n’est que le début des découvertes fascinantes à faire sur cette population peu documentée.

Source: Benjamin Henry Latrobe, An Overseer Doing His Duty, 1795, The Maryland Historical Society

Ce nouvel article démontrera que l’esclavage a été omniprésent dans la société canadienne-française, surtout pendant le XVIIIe siècle, et ce dans les différentes classes sociales. En effet, il est commun de penser que la pratique de l’esclavage était exclusive à l’élite de la société. Or, des fermiers, des forgerons, des marchands, des membres du clergé et des gouverneurs ont asservi des autochtones et des noirs.

Les archives paroissiales disponibles sur le site de recherche Généalogie Québec de l’Institut Drouin nous permettent de retrouver les propriétaires d’esclaves chez la noblesse, mais aussi chez les roturiers. Par exemple, les sœurs de la congrégation, membres du clergé, auront possédé un total de cinq esclaves entre 1733 et 1796, dont deux dites Panisses, une Renarde, deux Poutéoutamises ainsi qu’un homme noir nommé Paul Étienne :

          « Le vingt neuf novembre mile sept cent soixante et douze par moy pretre sousigné a eté inhume dans le cimetière proche la poudriere le corps de paul étienne [noir] appartenant au sœur de la Congregation, decedé d’hier a l’hopital âgé d’environ soixante dix ans ont étés presens monsieur fortin et pierre baron bedeau qui ont sousignés [sic] »

Source: Acte 363708, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Paul Étienne a fort probablement été donné ou vendu aux sœurs de la Congrégation en raison de son grand âge qui le rendait inutile à la famille l’ayant asservi. Il a été baptisé seulement 1 an et 2 mois avant son décès; ce sont les seuls éléments de sa vie qui nous sont parvenus.

Le roi de France est régulièrement mentionné dans les archives paroissiales en tant que propriétaire d’esclaves. En effet, nous retrouvons un total de 26 esclaves recensés ayant vécu en Nouvelle-France et ayant appartenu au roi Louis XV. Curieusement, la France tient à l’époque un discours de terre libre n’ayant pas recours à l’esclavage. (Peabody, 1996 : 3). Ainsi, plusieurs Français et Québécois seront étonnés de savoir que leurs ancêtres ont asservi des hommes et des femmes autant sur le territoire du Nouveau-Monde que sur le Vieux continent. (Boulle, 2007).

Parmi les esclaves du roi, nous retrouvons ces deux Panisses inhumées au même moment :

          « Le onze novembre mil sept cent cinquante six a été inhumé dans le cimetière de lhopital general les corps de deux petits panisses appartenant au Roy décédés du jour présents, ondoyés dans la sale. A été présent Mr Curatteau ecclisiastique qui a signé [sic] »

Source: Acte 303757, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Nous ne connaissons ni l’âge ni le nom de ces deux jeunes panisses; elles ont perdu leurs voix. Celles-ci auraient probablement effectué des tâches domestiques pour l’hôpital ou auraient occupé un autre emploi servant le bien de la population et du roi. Nous ne pouvons que spéculer sur leur situation.

Après une condamnation à mort pour tentative de fuite en Martinique, l’esclave noir Mathieu Léveillé se voit offrir la possibilité d’éviter sa sentence à condition de migrer vers le Canada et d’y devenir maître des hautes œuvres de la société sous le roi de France. Ce travail consistait à effectuer l’exécution des condamnés à mort ainsi que les tortures. Il fut d’ailleurs le tortionnaire de Marie-Josèphe-Angélique, une esclave noire accusée d’avoir mis feu à la ville de Montréal. Il meurt 10 ans après son arrivée sur le territoire, durant lesquelles il est hospitalisé 11 fois. Cet esclave au destin tragique aura fui une mort certaine en Martinique pour venir imposer la peine de mort aux criminels de la Nouvelle-France.

          « Le dixieme Septembre mil sept cent quarante trois a été enterré dans le cimetière de l’hôtel Dieu de quebec le corps de mathieu [noir] maitre des hautes œuvres mort le jour précédent âgé d’environ trente quatre ans et muni des sacrements de penitence et d’extreme onction ont été présente Jean Baptiste le fort devilleneuve et Louis rose dit Belle fleur lesquels ont signé avec nous [sic] »

Source: Acte 169488, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

La première partie de cet article a permis de montrer que l’asservissement d’autochtones et de noirs était largement accepté dans la société, même si cela n’était pas la norme en France. Dans la seconde partie de cet article, nous ferons l’observation d’esclaves vivant dans des foyers de la population roturière.

Cathie-Anne Dupuis,
MSc Démographie,
Candidate au doctorat en histoire.

BILBIOGRAPHIE 
Boulle, Pierre H. 2007. Race et esclavage dans la France de l’Ancien Régime. Paris, France: Perrin.
Peabody, Sue. 1996. « There are no slaves in France » : the political culture of race and slavery in the Ancien Régime. New York ; Oxford: Oxford University Press.