Les registres paroissiaux témoins de l’histoire : l’épidémie de variole de 1885

 

La variole, aussi nommée petite vérole ou picote, est une maladie fort contagieuse et souvent mortelle qui a été un véritable fléau dans plusieurs régions du monde jusqu’à son éradication en 1979. Son impact sur le Québec dans sa période coloniale a été abordé dans la première partie de cet article.


François d’Assise et d’autres religieux soignant des personnes qui semblent atteintes de variole. Wikipedia Commons.

C’est en 1885 que la petite vérole frappe pour la dernière fois le Québec, soit près d’un siècle après la conception du vaccin contre la maladie. Pourtant, la vaccination n’était pas répandue chez les Canadiens français malgré des efforts soutenus des gouvernements pour encourager, voire imposer celle-ci.

En mars 1885, un conducteur du Grand Trunk Railway apporte la variole à Montréal. Ses draps infectés contaminent ensuite Pélagie Robichaud, qui travaille à la buanderie de l’hôpital où l’homme est soigné. Elle est la première morte de l’épidémie de variole de 1885. Sa sépulture indique qu’elle décède à Montréal le 2 avril.


Source: Image d1p_1101a1007.JPG, Registres du Fonds Drouin (Québec/Fonds Drouin/Mtl/Catholique/Montréal (Basilique Notre-Dame)/1880/1885/Sépultures/), GenealogieQuebec.com

À la suite de la contagion de Pélagie Robichaud, la maladie fait plusieurs milliers de morts entre 1885 et 1886, notamment à Montréal. La vaccination sera imposée aux Montréalais, non sans résistance : plusieurs émeutes anti-vaccination éclatent dans la population méfiante.

Le camp anti-vaccin compte des acteurs d’importance : citons par exemple Joseph Émery-Coderre, éminent médecin militant contre la vaccination obligatoire. L’Église catholique est appelée en renfort pour convaincre la population réticente. L’évêque de Montréal, Mgr Édouard-Charles Fabre, joue un rôle décisif en appuyant publiquement la campagne de vaccination et en commandant aux prêtres de son diocèse de faire de même auprès de leurs paroissiens.

Cette crise survient dans un contexte politique complexe : elle éclate en même temps que la rébellion du Nord-Ouest, au cours de laquelle les Métis des Prairies se révoltent contre le gouvernement canadien. Généralement descendants de Canadiens français et d’autochtones, les Métis de l’Ouest canadien sont majoritairement francophones et catholiques et leur rébellion jouit d’un soutien considérable au Québec.

Son échec, qui se solde notamment par la pendaison de Louis Riel, exacerbe considérablement les tensions entre francophones et anglophones au Québec ainsi que la méfiance des Canadiens français envers les directives du gouvernement. On attribue notamment à John A. Macdonald, alors Premier ministre du Canada, la phrase « [Riel] sera pendu, même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur ».


Le gouvernement provisoire constitué par les Métis et leur chef Louis Riel. Wikimedia Commons.

Du côté des journaux, francophones et anglophones se renvoient la balle, évoquant d’une part l’hystérie des Canadiens anglais et d’autre part la malpropreté des Canadiens français. Le 12 septembre 1885, L’Union des Cantons-de-l’Est, journal basé à Victoriaville, publie un article sur les prétendus ravages de la « picotte ». En voici l’introduction :

« Si nous en croyions les journaux des Etats-Unis publiés en langue anglaise, la picotte serait en train de décimer la bonne ville de Montréal. Pratiquement, notre métropole commerciale est en quarantaine à l’heure qu’il est! Beaucoup de monde souffre et un plus grand nombre encore souffriront de cet état de choses. Et à qui la faute? A la presse de votre ville, bonnes gens de Montréal. C’est elle qui a répandu partout que la picotte vous rongeait, que le fléau prenait des proportions horribles, que toute la cité allait y passer. »

Ainsi, cet article accuse les journaux de langue anglaise d’exagérer considérablement les proportions de l’épidémie de variole, d’autant plus que les Canadiens anglais semblent attribuer aux Canadiens français la gravité de la situation :

« Maintenant, comme il faut une bête noire partout, on a imaginé que les canadiens français devaient être les auteurs et les propagateurs de l’épidémie. Le Herald de Montréal a accusé nos co-nationaux d’être ignorants, sales, crasseux, etc. C’est une grosse calomnie! Nos canadiennes françaises sont généralement propres, industrieuses, passant les trois quarts du temps à laver et écurer dans leur maison. »

Cet article ne rejette pas pour autant la science et reconnaît les lacunes du peuple canadien-français pour ce qui est de l’hygiène.

« Aussi les ravages de l’indifférence pour la lecture et les sciences sont infiniment plus à redouter que ceux de la picotte à Montréal dont les victimes ne dépassent pas quelques dizaines.  »

      
Source: Image 00080.jpg, Collections Diverses de l’Institut Drouin (23 – Journaux anciens/L’Union des Cantons de l’Est (Arthabaskaville)/1867-1887/1885/), GenealogieQuebec.com

Toujours en septembre 1885 paraissent cependant dans L’Union des Cantons-de-l’Est des remèdes et recettes pour soigner la variole, perpétuant l’idée que la vaccination était au mieux superflue, sinon dangereuse.

« Je me rappelle avoir lu dans le (Journal de l’instruction publique), que la racine de la Sarrasine [sarracénie] était un antidote contre cette maladie. Vite je me mets à l’oeuvre, j’envoie mon peti servant de messe, un jeune montagnais, me chercher la plante en question, nous infusons la racine, à peine en eurent-ils pris deux ou trois potions qu’ils éprouvèrent un bien sensible, la fièvre disparut, les pustules séchèrent, ils étaient hors de danger, ils n’ont même pas porté les marques de la picote.  »

« Quand Jenner découvrit le vaccin de la vache en Angleterre, le monde de la science voulut faire éclater la foudre sur sa tête ; mais quand l’École de médecine la plus savante de l’univers, celle de Paris, publia cette recette pour la variole, elle passa sans encombre. Elle est aussi infaillible que le sort et remporte la victoire dans tous les cas.
Sulphate de zinc, 1 grain ; digitale, 1 grain ; 1 1/2 cuillérée à thé de sucre. Mêlez avec deux cuillérées à table d’eau. Quand le mélange est parfait ajoutez quatre onces d’eau. Prenez une cuillérée à thé chaque heure. La maladie disparaîtra en douze heures.  
»

              
Source: Images 00078.jpg et 00084.jpg, Collections Diverses de l’Institut Drouin (23 – Journaux anciens/L’Union des Cantons de l’Est (Arthabaskaville)/1867-1887/1885/), GenealogieQuebec.com

L’épidémie de 1885 constitue la dernière crise sanitaire d’envergure liée à la variole dans le monde occidental, un peu moins d’un siècle avant l’annonce de son éradication complète grâce à la vaccination. 1979 marquera la fin du virus responsable d’une des maladies contagieuses les plus mortelles de l’histoire de l’humanité, dont quelques échantillons seulement subsistent à des fins de recherche.

Marielle Côté-Gendreau
Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.

Les registres paroissiaux témoins de l’histoire : la variole au temps de la colonie

La variole est une maladie fort contagieuse et souvent mortelle qui a été un véritable fléau dans plusieurs régions du monde jusqu’à son éradication en 1979. Elle a affecté la population canadienne-française à de multiples occasions depuis le début de la colonie, faisant des ravages dans les paroisses.

C’est sous les noms de petite vérole ou picot(t)e que la variole est le plus souvent désignée dans les registres québécois. Ce nom de picote tire son origine des cloques qui couvrent le corps des malades.


Enluminure présentant une maladie qui semble être la variole, Bible de Toggenburg (Suisse), 1411. Wikimedia Commons.

Ainsi, le curé de L’Islet, village de la Côte-du-Sud, souligne l’usage de ces deux noms dans une note en marge d’une sépulture. Il enregistre le 24 août 1792 le décès de Marie Louise Bernier, 19e et « dernière morte de cette maladie, c’est à dire de la petite vérole ou de la picote en terme canadien, ou français, depuis le 23 d’octobre 1791 ».


Source: Image d1p_51740348.jpg, Registres du Fonds Drouin (Québec/Registres paroissiaux 1621-1876/L/L’Islet (Notre-Dame-du-Bon-Secours)/1790/1792/), GenealogieQuebec.com

C’est la petite vérole qui est en cause dans l’infection de Premières Nations ennemies des Britanniques par l’entremise de couvertures contaminées, une initiative qui aurait été approuvée par l’officier Jeffrey Amherst. Cet événement a fait parler de lui dans les dernières années alors que Montréal s’est départie de sa rue Amherst, renommée Atateken. N’étant pas présente en Amérique avant la venue des Européens, la variole a fait des ravages parmi les peuples autochtones dès les débuts de la Nouvelle-France.

Le 4 mai 1709 est baptisé à Ste-Anne-de-Bellevue Louis Miskouabemich, homme de la nation népissingue. L’acte le dit âgé de 110 ans, ce qui est improbable mais signale certainement un âge avancé. L’aîné avait précédemment reçu l’ondoiement, une cérémonie rapide qui tient lieu de baptême en cas de danger de mort.

En effet, Louis « est dangereusement malade de la petite vérol ». Son âge et possiblement son statut lui procurent un parrainage fort avantageux : son parrain n’est nul autre que Philippe de Rigaud, Marquis de Vaudreuil, qui est alors gouverneur général de la Nouvelle-France, dont l’épouse Élisabeth de Joybert tient le rôle de marraine. Le couple se fait représenter à la cérémonie par un couple de notables de l’endroit.

Louis Miskouabemich meurt le 27 juin de la même année.


Source: Acte 14937, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com 

La variole est connue pour provoquer des fausses couches et des accouchements prématurés, de même qu’une augmentation de la mortalité infantile. On trouve nombre de ces drames dans les registres québécois.

Marie Huguet dit Latour, de L’Ancienne-Lorette, près de Québec, connaît en 1755 une fin tragique : « la premiere picotée l’ayant apporté de québec morte enseinte son enfant baptisé par la sage femme dans le sein de sa mere ». Ce décès ne survient que 6 mois après son mariage. L’enfant, qu’on suppose donc fortement prématuré, n’a manifestement pas survécu alors qu’il a été ondoyé avant même l’accouchement.


Source: Acte 259406, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

D’autres traces de la prématuration liée à la variole se trouvent dans les registres de Lachine. On y découvre en 1702 la sépulture d’un enfant « né cette nuit aagé de sept mois sa mère estant malade de la picotte et en cas de danger il a esté ondoié par Jeanne Malteau sage femme ».


Source: Acte 14627, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

La reconstitution des familles disponible sur le PRDH-IGD nous apprend cependant que la mère, Barbe Brunet, a vaincu la maladie et est décédée à Châteauguay à l’âge respectable de 74 ans.

Quelques mois après cet enfant décède Marie Fortin, « laquelle est morte cette nuict de la picotte en accouchant d’une fille aagée de six mois et demi quy a l’instant a esté ondoiée par la sage femme ensuitte est morte et a esté enseveliée avec sa mère et enterrée avec elle dans la même fosse ».


 Source: Acte 14654, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

La variole prend aussi une part active dans un drame historique, la tristement célèbre Déportation des Acadiens par la Grande-Bretagne et ses colonies américaines en 1755, au cours de laquelle plus de 12 000 d’entre eux sont violemment arrachés à leurs terres. La variole se développe dans certains groupes, s’ajoutant aux fléaux de la faim, de la soif, du froid et des autres maladies qui déciment déjà les Acadiens.

Des centaines qui atteignent le Québec, plusieurs sont fortement affaiblis par la variole. En témoignent les nombreuses sépultures marquées « acc » ou « acad » dans les registres de Notre-Dame-de-Québec, identifiant les décès acadiens. L’hiver 1757-1758 est particulièrement mortel.


26 au 28 décembre 1757, Notre-Dame-de-Québec. Remarquer les nombreuses mentions « acad » en marge.
Source: Image d1p_31431309.jpg, Registres du Fonds Drouin (Québec/Fonds Drouin/QC/Catholique/Québec (Notre-Dame)/1750/1757/), GenealogieQuebec.com

L’errance des Acadiens en exil dure parfois plusieurs années, comme l’illustre l’inhumation dans le cimetière de Saint-Cuthbert de Catherine, « Cadienne morte de la picotte apres avoir recu tous ses sacrement sitot quelle est arrivé dans la ditte paroisse », le 6 novembre 1769.


Source: Acte 440471, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Il apparaît que la variole a sévi dans les rangs de l’armée britannique en garnison au Québec. Nous trouvons dans les registres de Berthierville, anciennement appelé Berthier-en-Haut, ce curieux acte :

 » We the undernamed persons do hereby certify that John Mackffee, soldier in the 28th Regiment and in Captain Darlis (?) Company and Jennet Forah were married and lawfully entered the bond of Matrimony, and that some time after, said Macfee was, by the Providence of God seized with the Small Pox and dyed at Quebec in June 1766
dated at Quebec the 10th day of September 1766 « 


Source: Acte 741600, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

En voici la traduction :
« Nous soussignés certifions que John Mackffee, soldat dans le 28e Régiment et dans la compagnie du Capitaine Darli (?) et Jennet Forah ont été mariés et légalement unis dans les liens du mariage, et que quelque temps plus tard, ledit Macfee a été, par la Providence de Dieu saisi de la Petite Vérole et mourut à Québec en juin 1766
Daté à Québec le 10 septembre 1766 »

S’en suit un paragraphe rédigé en français, dans lequel le rédacteur juge cet étrange acte convenable et autorise la veuve à contracter un nouveau mariage si elle le souhaite.

« Le present extrait mortuaire me parrait dans la forme convenable selon les usages des troupes de cette province; quoy que je ne connaisse pas les signatures; si celuy dont la mort y est attestée est le meme avec qui était mariée la personne qui se présente pour un nouveau mariage, vous pourrez la regarder comme veuve et passer outre. ayez seulement soing den verifier le nom autant qu’il vous sera possible a montreal le 6 may 1768 »


Source: Image d1p_1161b0055.jpg, Registres du Fonds Drouin (Québec/Fonds Drouin/B/Berthierville/1760/1766/), GenealogieQuebec.com

10 ans plus tard, la variole joue un rôle important dans l’échec de l’invasion du Québec britannique par les révolutionnaires américains en 1775 et 1776. Une épidémie de variole dans les rangs rebelles réduit considérablement les effectifs disponibles et force l’abandon du projet de conquête.

Ainsi, la variole affecte périodiquement pendant deux siècles les habitants du Québec à coups d’épidémies d’envergures variables. C’est en 1885 que la petite vérole frappe pour la dernière fois le Québec. Montréal sera alors l’épicentre d’une sévère épidémie. Cette crise et ses répercussions, tant sur les plans sanitaire que politique, seront abordées dans la seconde partie de cet article.

Marielle Côté-Gendreau
Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.

Les registres paroissiaux témoins de l’histoire : L’épidémie de choléra de 1832-1834

 

Les maladies contagieuses ont frappé à plusieurs reprises le Québec depuis le 17e siècle. Les épidémies apportent certes leur lot de décès, mais elles font évoluer à chaque fois les mesures sanitaires et les croyances. Cet article raconte, par l’entremise des journaux d’époque et des actes paroissiaux, l’histoire de l’épidémie de choléra qui frappe le Québec en 1832, puis dans une moindre mesure en 1834. Les documents utilisés dans cet article proviennent de PRDH-IGD.com ainsi que des Collections diverses de l’Institut Drouin et du LAFRANCE, disponibles sur GenealogieQuebec.com.

Le choléra à Quebec – Joseph Légaré

Nommée indifféremment choléra asiatique, morbus ou spasmodique, la maladie, originalement limitée à l’Asie, se répand au cours du 19e siècle dans le monde occidental par l’entremise d’une série de pandémies. Partie de l’Inde vers 1826, la deuxième pandémie de choléra gagne les Îles Britanniques en février 1832. Les immigrants irlandais sont responsables de l’introduction de cette maladie infectieuse au Bas-Canada. Elle y fait des ravages et constitue la première épidémie de grande envergure au Québec.

C’est en février 1832, en prévision de l’arrivée du choléra, qu’est créé le poste de quarantaine de Grosse-Île, qui accueille les immigrants avant de leur permettre l’accès au port de Québec. L’île, située une cinquantaine de kilomètres avant Québec, est aujourd’hui un lieu historique national.

Québec est le premier foyer de l’épidémie en Amérique. Le 4 juin, le Quebec Gazette annonce l’arrivée imminente du Carricks à la station de Grosse-Île :

« Capt. Park de l’Astrea, arrivé hier, a communiqué avec le Carricks, [capitaine] Hudson, de Dublin, à Grosse Isle samedi [2 juin 1832]. Le Carricks a perdu 42 passagers, son charpentier et un garçon [d’équipage] d’une maladie inconnue. Le reste des passagers et de l’équipage sont maintenant en bonne santé. »

Source: The Quebec Gazette, 4 juin 1832. Image QG_13_0020, Collections diverses de l’Institut Drouin (23 – Journaux anciens/The Quebec Gazette/1832/06), GenealogieQuebec.com

Il est pourtant déjà connu en Amérique que cette « maladie inconnue », le choléra, fait des ravages en Europe, et les journaux suivent la situation de près. Pour ne pas alerter la population, le surlendemain, le Quebec Gazette .écrit:

« Des rumeurs circulent de façon très générale comme quoi le choléra morbus a atteint la station de quarantaine, etc. Il est nécessaire de réitérer que, jusqu’à ce qu’une annonce officielle soit faite à ce sujet, elles sont à rejeter entièrement. »

Source: The Quebec Gazette, 6 juin 1832. Image QG_13_0021, Collections diverses de l’Institut Drouin (23 – Journaux anciens/The Quebec Gazette/1832/06), GenealogieQuebec.com

Les autorités officielles, par l’entremise du nouvellement créé Bureau de santé, confirment que « [l]a rumeur selon laquelle il y aurait à la station des personnes malades du choléra est entièrement sans fondement. »

Source: The Quebec Gazette, 8 juin 1832. Image QG_13_0022, Collections diverses de l’Institut Drouin (23 – Journaux anciens/The Quebec Gazette/1832/07), GenealogieQuebec.com

 

Elles indiquent que le Carricks subit les procédures de désinfection et sont confiantes que le choléra n’atteindra pas le Canada. Cette conviction est fondée sur une opinion favorable de la situation sanitaire du peuple canadien :

« Il a été trouvé dans toutes les parties du monde que le cholera spasmodique envahit et détruit uniformément, à la vitesse de l’éclair, ceux qui s’adonnent aux boissons fermentées, et à l’intempérance de toute sorte, – ceux qui sont dissolus – fainéants – sales – deviennent ses victimes, alors que ceux qui sont propres, tempérés et industrieux y échappent.

Ceci est un élément de consolation et d’espoir, surtout pour un peuple qui, comme les Canadiens, dans les districts ruraux en particulier, se distinguent par leur sobriété, leur industrie et leur propreté; et qui, de surcroît, puisqu’ils sont exempts des maux de l’extrême pauvreté, sont proportionnellement protégés des attaques les plus sévères de la maladie.

Si le choléra spasmodique devait donc apparaître dans un tel peuple, il serait probablement très limité dans son étendue, et atténué dans sa sévérité. »

Source: The Quebec Gazette, 11 juin 1832. Image QG_13_0023, Collections diverses de l’Institut Drouin (23 – Journaux anciens/The Quebec Gazette/1832/07), GenealogieQuebec.com

 

En effet, le choléra est le plus meurtrier dans les quartiers populaires. La contagion est favorisée par la forte densité de population et les mauvaises pratiques d’hygiène. Contrairement aux projections du Bureau de santé, le tableau suivant, publié le 2 juillet 1832 dans le Quebec Gazette, soit un mois après l’arrivée du Carricks, montre l’évolution rapide des cas de choléra dans les hôpitaux de la capitale. L’absence de mesures strictes pour contenir la maladie permet au choléra d’atteindre Montréal, qui sera aussi frappée de plein fouet.

Source: The Quebec Gazette, 4 juillet 1832. Image QG_13_0036, Collections diverses de l’Institut Drouin (23 – Journaux anciens/The Quebec Gazette/1832/07), GenealogieQuebec.com

Parmi les milieux les plus à risque, l’insalubrité et la promiscuité des prisons les rendent particulièrement vulnérables au développement de l’épidémie. Le 17 juin 1832, deux semaines seulement après l’arrivée du Carricks à Grosse-Île, sont inhumés à Montréal « deux hommes de noms inconnus, morts du Choléra morbus dans la prison de cette ville ».

Acte 4213784, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Néanmoins, la haute société n’est pas épargnée. L’acte suivant consigne le 2 juillet à Beauport le décès du choléra de Marie Louise Fleury De La Gorgendière, veuve de l’Honorable Louis Antoine Juchereau Duchesnay, seigneur de Beauport et homme politique et militaire.

Acte 3255441, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Les comptes-rendus de l’époque indiquent que le choléra peut agir de façon foudroyante : il n’est pas rare qu’un individu d’apparence saine le matin décède dans la journée de déshydratation rapide causée par des diarrhées extrêmes. Cette réalité est reflétée dans les actes paroissiaux : le suivant révèle qu’Angélique Angers est morte le 8 août à Neuville « du choléra après dix heures de maladie ».

Acte 436060, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Le cimetière Saint-Louis de Québec, installé au coin de la Grande Allée et de l’avenue De Salaberry, est ouvert en 1832 pour accueillir les victimes du choléra. Il prend rapidement le surnom de cimetière des Cholériques et accueillera notamment jusqu’en 1855 les morts du choléra et du typhus.

Les décès s’accumulent à un tel point que les prêtres ont de plus en plus recours aux sépultures de masse. En voici la première occurrence :

« Le treize Juin, mil-huit-cent-trente-deux, nous Diacre de ce Diocèse, soussigné, par l’autorisation spéciale de l’Evêque de Québec, avons inhumé dans le Cimetière Saint Louis, cinquante-quatre individus, dont nous n’avons pu nous procurer les noms tous décédés du Choléra-Asiatique à l’Hôpital des Emigrés, et de professions et d’âges à nous inconnus. »

Acte 4341082, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Si les deux grandes villes du Québec connaissent chacune quelques milliers de décès, la contagion étant évidemment favorisée par la densité et les mouvements de population, le choléra sévit aussi dans les campagnes. Penchons-nous par exemple sur le cas de cette famille de La Prairie : Félicité Denault et sa fille nouvellement mariée Émilie Chabot s’éteignent toutes deux le 23 juin 1832. Trois jours passent avant que leur mari et père Louis Chabot ne les rejoigne dans la tombe. Cette famille avait déjà été durement frappée par la mortalité juvénile, qui avait emporté au moins sept de leurs douze enfants.

Fiche de famille 82097, PRDH-IGD.com

Fiches d’individu 237279 et 250275, PRDH-IGD.com

Les registres montrent aussi que l’épidémie voyage au-delà des frontières canadiennes par l’entremise des fréquents va-et-vient des Canadiens français émigrés dans le nord des États-Unis. Le curé de Marieville, en Montérégie, enregistre en février 1833 le décès d’Édouard Bérard, 11 ans, « décédé le vingt quatre août dernier à Franklin, comté de Franklin État de Vermont du colera n’ayant pu le rendre plutôt ». Les registres montrent en effet que le dernier-né de la famille, Marcel, né à Franklin, avait été baptisé à Marieville le 13 juin 1832. Les circonstances portent à croire que c’est à l’occasion de ce voyage familial que la contagion aurait atteint le jeune Édouard.

Acte 4522160, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

L’épidémie connaît une seconde vague en 1834, qui sera néanmoins beaucoup moins meurtrière que la première. C’est à cette occasion que les registres de St-Luc-de-la-Grosse-Île s’ouvrent et commencent à consigner baptêmes, mariages, mais surtout sépultures des Irlandais cholériques en quarantaine sur l’île.

« Le présent registre contenant dix-huit feuillets, celui-ci compris, a été par nous l’un des Juges de la Cour du Banc du Roi pour le district de Québec, soussigné cotté et paraphé par chaque feuillet, pour servir à l’enregistrement des actes de Baptêmes, Mariages et Sépultures, qui se feront à la Station de Quarantaine établie à la Grosse-Isle, la dite isle dépendante de la desserte de St. Antoine de l’Isle aux Grues.

            Québec, 24 mai 1834. »

Image d1p_10090097, Registres du Fonds Drouin (/Québec/Fonds Drouin/G/Grosse-Île/Grosse-Île (St-Luc)/1830/1834/), GenealogieQuebec.com

Le choléra reviendra au Québec dans le cadre de la troisième pandémie en 1849 et en 1854. Cet épisode sombre cache son lot d’histoires tragiques, mais a permis d’innover en termes de mesures de santé publique, notamment par la création du poste de quarantaine de Grosse-Île et du Bureau de santé. Le savoir et les compétences acquis durant cette période seront précieux dans la gestion des épidémies subséquentes.

 

Marielle Côté-Gendreau
Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.

Les registres paroissiaux témoins de l’histoire : La guerre de Sept Ans, Partie 2

La guerre de Sept Ans (1756-1763) a marqué un tournant dans l’histoire de la Nouvelle-France, qui change alors de mains. La première partie de cet article narrait, par l’entremise des registres paroissiaux de l’Église catholique, les événements qui ont mené à l’assaut de la ville de Québec par les troupes britanniques et leurs impacts sur la population de la Nouvelle-France.

Nous reprenons l’histoire en septembre 1759, à l’occasion de la bataille des Plaines d’Abraham. Après un débarquement réussi à l’Anse-au-Foulon, à l’ouest de Québec, les troupes britanniques accèdent aux hauteurs de Québec, où elles s’installent sur les Plaines d’Abraham. Le conflit atteint alors son apogée.


Cette gravure de 1797 est basée sur une esquisse exécutée par Hervey Smyth, aide-de-camp du général Wolfe durant le siège de Québec. Vue de la prise de Québec, le 13 septembre 1759.

L’affrontement se solde par une victoire britannique et le décès des deux commandants ennemis, les généraux Montcalm et Wolfe. La sépulture de Montcalm est effectivement enregistrée dans les livres de Notre-Dame-de-Québec, avec tous les honneurs dus à son rang :

« a été inhumé dans l’Eglise des Religieuses ursulines de Québec haut et puissant Seigneur Louis-Joseph Marquis de Moncalm Lieutenant Général des armées du Roy, Commandeur de l’ordre Royal et militaire de St Louis, Commandant en chef des troupes de terre en l’Amérique Septentrionale décédé le même jour de ses blessures au combat de la veille, muni des sacrements qu’il a reçus avec beaucoup de piété et de Religion »


Source: Acte 253561, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Les titres de noblesses côtoient dans ces registres les descriptions les plus anonymes. On y trouve par exemple cette curieuse sépulture d’un soldat inconnu.

« un soldat français dont je n’ai pu savoir le nom ni le régiment, tout ce qu’une personne a pu m’en dire, c’est qu’avant sa maladie il portait la perruque, et qu’ayant été blessé au combat du treize de ce mois, il avait été embarqué sur un navire Anglais où il est mort en rade. »


Source: Acte 253571, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

On tend toutefois à oublier que ce n’est pas sur les Plaines d’Abraham que se joue l’ultime manche de ce bras de fer entre les Britanniques et les Français. Alors que Québec est occupée, les commandants français demandent au roi des renforts pour assurer la reconquête de la ville au printemps. Le 28 avril 1760 se déroule la bataille de Sainte-Foy, remportée par les Français contre une armée britannique diminuée par les rigueurs de l’hiver, occasionnant des pertes importantes dans les deux camps.


Source: Acte 256530, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com


Liste des décès répertoriés à l’Hopital général de Québec après la bataille de Sainte-Foy. Source: Recherche dans le LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Cependant, les renforts espérés par les Français n’arriveront jamais et le premier navire à atteindre Québec à la fonte des glaces est anglais. Les Français sont forcés de retraiter vers Montréal, où est signée la capitulation le 8 septembre 1760. Le traité de Paris de 1763, qui met un terme à la guerre de Sept Ans, officialise l’abandon de la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne.

Les traces de la guerre de Sept Ans dans les registres paroissiaux ne sont toutefois pas toutes aussi morbides. La cohabitation entre les militaires de l’armée britannique et la population locale occasionne aussi de nouveaux baptêmes et mariages. Le baptême suivant, daté du 21 novembre 1760, est celui de Guillaume, « anglais dont le père et la mère sont inconnus », une formule standard pour les enfants illégitimes.


Source: Acte 248004, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Dans un autre acte, daté du 12 juin 1761, est baptisée une autre fillette « née de parents inconnus ».


Source: Acte 248097, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

On apprend cependant au mariage de ses parents en 1765 que cette petite Élisabeth est née d’un père suisse servant dans les troupes britanniques et d’une mère canadienne.


Source: Acte 250388, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Des registres paroissiaux surgissent donc les premiers indices des transformations et bouleversements qui marqueront la population canadienne à l’aube d’une nouvelle ère. La guerre a certes causé la mort de nombreux jeunes gens, mais elle apporte aussi sur les rives du Saint-Laurent de nouveaux habitants. Pouvez-vous aussi discerner, dans votre propre histoire familiale, les conséquences de la Conquête?

Marielle Côté-Gendreau
Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.

Les registres paroissiaux témoins de l’histoire : La guerre de Sept Ans, Partie 1

Les conflits opposant les colonies françaises d’Amérique du Nord aux Britanniques, puis aux Américains, ont forgé leur destin. Les traces de ces conflits sont toujours perceptibles dans les registres paroissiaux, une véritable constante à travers des siècles de changements. Cet article est le premier d’une série ayant pour objectif d’illustrer la puissance historiographique des registres paroissiaux à l’aide de l’outil LAFRANCE de GenealogieQuebec.com et de PRDH-IGD.com.

La guerre de Sept Ans (1756-1763), qui se solde au Québec par la Conquête, bouleverse la jeune colonie alors que la Nouvelle-France devient britannique. Cependant, en dépit des troubles, les prêtres continuent de consigner dans les registres paroissiaux les moments marquants des vies de leurs paroissiens. Ces actes, qui font la richesse de la généalogie canadienne-française, recèlent aussi un trésor historique en révélant l’impact de la guerre sur la population de la vallée du Saint-Laurent.


Source: Wikicommons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:French_and_indian_war_map.svg

Dès 1755 sont envoyés en Amérique des régiments militaires en provenance de France pour soutenir le Canada devant la menace britannique alors que les hostilités s’intensifient. La présence de ces soldats en sol américain ne passe pas inaperçue : tout au long de la guerre de Sept Ans, nombre de décès, mais aussi de mariages, sont enregistrés dans les registres paroissiaux. En effet, certains font le choix de s’établir au Québec de façon permanente et constituent le dernier apport migratoire à la population canadienne sous le régime français. L’acte suivant célèbre le mariage, le 11 février 1759 à Charlesbourg, de « jean Schoumarcker dit prêtaboire soldat de la compagnie de la Brenne au régiment de Berry […] et de marie joseph richard ».


Source: Acte 261291, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Ces soldats sont généralement bien identifiés dans les actes, par leur nom et par leur régiment. À quelques exceptions près : au mois de février 1756, quelques mois après son arrivée, un « jeune soldat du Regiment de Languedoc » se noie dans les eaux du Richelieu. Le prêtre omet son nom mais note que son capitaine, le Sieur Guyon, a pu attester de sa catholicité!


Source: Acte 324752, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Les nations amérindiennes jouent aussi un rôle prépondérant dans cette guerre, d’où son nom anglais de French and Indian War. Cet acte en fait foi : on y apprend le décès à l’été 1758 de Jean-Baptiste, « sauvage micquemaque », au Fort Saint-Jean, à Saint-Jean-sur-Richelieu, au retour d’un « combat donné contre les anglais » au Fort Carillon, au sud du lac Champlain dans l’actuel État de New York.


Source: Acte 325976, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

La menace britannique en Nouvelle-France se fait inquiétante à l’été 1759, alors que l’ennemi remonte le fleuve Saint-Laurent avec l’objectif de prendre Québec. Le 31 juillet, après deux semaines de bombardements, se déroule le premier affrontement pour Québec, la bataille de Montmorency (ou de Beauport), qui se conclue à l’avantage des Français.

Le mois d’août est marqué par une campagne de terreur de la part des Britanniques, qui saccagent les villages de la côte dans l’espoir de forcer l’armée française à quitter la protection des murs de Québec. Baie-Saint-Paul fait les frais de ces attaques : le curé note le décès de Charles Desmeules, « tué et la chevelure levée […] a la pointe d’aulne par les anglais ou ils firent descente et brulerent tout le bas de la baie st paul », mais aussi ceux de « plusieurs enfants morts dans le temps que nous étions dans les bois, réfugiés », alors que « les Anglais étaient à l’Isle aux coudres et a quebec ».


Source: Acte 201896, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Saint-Joachim perd son curé, « massacré par les anglais le 23 de ce mois etant a la tete de sa paroisse pour la deffendre des incursions et hostilites que faisait l’ennemi ».


Source: Acte 235388, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

De part et d’autre du fleuve Saint-Laurent, les registres paroissiaux traduisent l’urgence de la situation : enterrés en hâte et « sans cérémonie à cause des anglais », plusieurs corps sont exhumés et inhumés de nouveau après la fin des conflits.


Source: Acte 205287, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com

Le conflit atteint son apogée en septembre 1759, à l’occasion de la bataille des Plaines d’Abraham. L’armée britannique, l’armée française, les guerriers amérindiens et la milice canadienne, formée d’habitants, s’affronteront près de Québec pour la possession de la ville. Cette bataille et les événements subséquents seront abordés dans la seconde partie de cet article.

 

Marielle Côté-Gendreau
Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.

De Pascal à Noël : L’influence du calendrier sur les prénoms de vos ancêtres

Au Canada français, le calendrier religieux rythme la vie quotidienne jusqu’au 20e siècle. Cette influence est aussi perceptible dans le choix des prénoms donnés aux enfants.

L’ensemble des baptêmes enregistrés au Québec entre 1621 et 1849, disponibles sur PRDH-IGD, permettent de rendre compte de ce phénomène. Les Noël, Noëlla et autres Marie-Noëlle du 25 décembre en sont l’exemple le plus connu. Nous nous sommes livrés à un exercice original, celui de partir sur les traces des fêtes religieuses et autres événements saisonniers du Canada français par l’entremise du répertoire des baptêmes.

L’année commence avec un prénom fort approprié : sans grande surprise, la moitié des Janvier nés entre 1621 et 1849 sont baptisés en janvier. La fête des Rois, ou Épiphanie, laisse aussi sa marque sur le calendrier des naissances, alors que 22% des Épiphane et Épiphanie sont baptisés dans les deux jours précédant ou suivant le 6 janvier.


Une recherche pour Épiphane / Épiphanie sur PRDH-IGD.com, avec les baptêmes de début janvier en évidence.

Le carême, qui s’étend du Mercredi des Cendres au jour de Pâques, et le temps pascal, qui dure ensuite jusqu’à la Pentecôte, revêtent une grande importance dans le calendrier catholique. Conséquemment, 43% des Pascal sont nés en mars ou en avril. La coutume veut qu’on ne se marie pas durant le carême; une exception est habituellement justifiée par une dispense du temps prohibé, accordée par l’évêque.

L’analyse des baptêmes canadiens-français permet de mettre en évidence certains changements dans le calendrier catholique. Par exemple, la Saint-Benoît est, depuis le concile de Vatican II (1962-1965), fêtée le 11 juillet. Or, c’est bien le 21 mars que Benoît de Nursie est célébré au Canada français, alors que 21% des Benoît sont baptisés dans les deux jours précédant ou suivant cette date.

L’effet est même perceptible pour des prénoms très communs, comme Jean-Baptiste, qui rappelle celui qui est le patron des Canadiens français depuis 1908. Cependant, les célébrations de la Saint-Jean-Baptiste, qui coïncident avec le solstice d’été, sont beaucoup plus anciennes. Les Relations des Jésuites rapportent un feu de la Saint-Jean dès le soir du 23 juin 1636. Cette fête a une portée nationale depuis au moins le 19e siècle. C’est le 24 juin 1834 que le chant patriotique Ô Canada! Mon pays, mes amours est présenté pour la première fois. Il ne doit pas être confondu avec le Ô Canada, composé à l’occasion de la Saint-Jean-Baptiste de 1880. L’actuel hymne national célébrait alors le peuple canadien-français, qui grandit « sous l’œil de Dieu, près du fleuve géant ». Malgré que Jean-Baptiste soit un prénom très commun à l’année longue, on observe un pic dans les jours entourant le 24 juin.

Une découverte plus surprenante est la concentration des Augustin au mois d’août. Cette pratique, qui n’est pas d’origine religieuse, tient plutôt au lien étymologique entre août et Augustin, les deux dérivant du latin augustus. 12% des Augustin de l’année naissent pendant ce mois. Cette proportion monte à plus de 22% dans l’élite canadienne-française, qui regroupe par exemple les seigneurs, les avocats, les notaires ou les marchands. Le statut social est tiré du métier du père, généralement indiqué dans les actes de baptême. Cette information, lorsque fournie, est souvent disponible dans les fiches d’actes consultables sur PRDH-IGD (Qu’est-ce que PRDH-IGD?).


Fiche de baptême PRDH-IGD d’un Augustin né en août d’un père juge de profession 

La Toussaint, célébrée le 1er novembre, commémore, comme son nom le laisse deviner, l’ensemble des saints. Les cinq jours l’entourant rassemblent près du tiers des 4279 Toussaint répertoriés entre 1621 et 1849. L’influence du calendrier religieux sur les prénoms n’est pas spécifique au Canada français : on l’observe aussi chez les pionniers français. Par exemple, Toussaint Giroux, dont descendent la plupart des Giroux d’Amérique, est baptisé le 2 novembre 1633 à Réveillon, dans le Perche.


Fiche d’individu PRDH-IGD de Toussaint Giroux.

La Toussaint pave la voie pour plusieurs célébrations pendant les mois de novembre et décembre, d’autant plus importantes qu’elles marquent la fin des activités agricoles.

Martin est un autre prénom d’une relative popularité qui attire à sa fête une proportion importante des naissances : 21%. La Saint-Martin, célébrée le 11 novembre, est en effet un jour important tant dans le calendrier religieux qu’agricole. Le prêtre et historien Lionel Groulx aborde dans Chez nos ancêtres (1920) la bien nommée criée de la Saint-Martin : alors que les récoltes sont finies, le seigneur accepte de ses censitaires les redevances dues. La réception, tenue au manoir seigneuriale, est décrite par Philippe Aubert de Gaspé dans Les anciens Canadiens, connu comme l’un des premiers romans québécois.

À l’instar de Jean-Baptiste, le commun Catherine est influencé par la fête de sa patronne : plus de 5% des naissances se groupent autour du 25 novembre, une fête religieuse et culturelle importante depuis la Nouvelle-France. La fameuse tire de la Sainte-Catherine, qu’on attribue à sainte Marguerite Bourgeoys, dont on connaît le rôle proéminent dans la fondation de Montréal, est une tradition culinaire canadienne-française qui perdure jusqu’aujourd’hui.

Noël et ses dérivés sont l’archétype du prénom calendaire : près de 40% des 3395 baptêmes sont concentrés dans les 5 jours entourant le 25 décembre. L’année s’achève avec la Saint-Sylvestre, jour du réveillon du Nouvel An, autour de laquelle naissent 43% de tous les Sylvestre québécois de l’époque.

Proportion de baptêmes à proximité de la date associée à quelques prénoms dans les actes de baptêmes disponibles sur PRDH-IGD.com

 

PrénomJour associéPourcentage de baptêmes dans un intervalle de cinq jours (%) *Nombre de baptêmes
JanvierJanvier49,3452
Épiphan(i)e6 janvier22,0162
Agathe5 février5,43 541
Scholastique10 février6,02 741
Valentin14 février29,3165
Patrice17 mars22,8631
Patrick6,51 981
Benoît21 mars21,1690
PascalMars et avril43,22 558
(Jean) Baptiste24 juin2,953 506
AugustinAoût12,011 371
Michel(le)29 septembre10,017 310
Rémi1er octobre7,21 445
Thérèse15 octobre3,19 222
Ursule21 octobre3,94 499
Toussaint1er novembre29,94 279
Martin11 novembre21,31 255
Cécile22 novembre6,53 444
Catherine25 novembre5,420 718
André30 novembre4,07 645
(François) Xavier3 décembre4,117 019
Noël et dérivés25 décembre38,93 395
Étienne26 décembre6,29 088
Sylvestre31 décembre42,6295

* Dans le cas des prénoms référant à un mois, le nombre présent dans cette colonne indique le pourcentage de baptêmes célébrés dans ce mois.

Cet exercice, réalisé à partir des données exceptionnellement bien conservées des Registres du Fonds Drouin indexées sur Généalogie Québec et PRDH-IGD, met en lumière l’influence du calendrier, notamment le calendrier religieux, sur les prénoms donnés. En portant une attention renouvelée au lien entre le prénom et la date de naissance ou de baptême, vous serez probablement en mesure de donner vous aussi un sens aux prénoms de certains de vos ancêtres.

Marielle Côté-Gendreau
Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.

Comprendre la variation linguistique dans les noms et prénoms de vos ancêtres

Vos recherches généalogiques vous ont peut-être donné l’impression que vos ancêtres changeaient de noms et de prénoms comme de chemise. Le concept des « noms dit », abordé dans un précédent article de blog, éclaire une partie de cette variation parfois obscure aux yeux d’un observateur du 21e siècle.

Si le baptême a constitué pendant quatre siècles la pierre angulaire de l’existence civile au Canada français, cette identité était jusqu’au début du siècle dernier beaucoup moins contraignante qu’aujourd’hui. Il n’était donc pas inhabituel d’observer une certaine variation dans les noms et prénoms utilisés par un individu au cours de sa vie, phénomène favorisé par l’instabilité orthographique des noms propres, un système d’enregistrement civil moins restrictif et l’analphabétisme.

Sous la lumière de la linguistique, cet article abordera quelques astuces à garder en tête afin de retracer toutes les occurrences de vos ancêtres dans les archives.

Ne pas se fier à l’orthographe

Ce conseil peut paraître anodin pour le généalogiste averti, mais il convient de le rappeler. Par exemple, l’ancêtre des Hétu actuels signait son nom Estur. Le ‹ s › ainsi que le ‹ r ›, qui ne se prononçaient plus, constituaient des reliques orthographiques, comme il en existe tant en français. Le ‹ h › est une lettre ornementale, ajoutée au fil des ans.

Il ne faut pas non plus systématiquement attribuer la variation orthographique à l’analphabétisme. L’exemple des Hénault est parlant. Quatre membres d’une famille de notables éduqués apposaient en 1816 leur signature au bas de l’acte de mariage d’Honoré Hénault et Julienne Mailloux, orthographiant leur nom de trois manières différentes : Hénault, Heneault et Eno. Le prêtre a choisi quant à lui une variante désaccentuée avec Henault.

Acte de mariage d’Honoré Henault et Julienne Mailloux tiré de l’outil LAFRANCE de GenealogieQuebec.com

Avant la fixation des noms propres, leur graphie relevait, dans une certaine mesure, du goût du porteur du nom, du prêtre ou du notaire.

Garder en tête que la langue change

La plupart des Dion d’aujourd’hui sont des descendants patronymiques de Jean Guyon. Comment est-ce possible? Notons d’abord que Guyon se prononce Gui-yon et non Gü-yon. De nos jours, le ‹ g › dur s’articule à l’arrière du palais, et le ‹ d › s’articule derrière les incisives supérieures. Cependant, par le passé, le ‹ g ›, lorsque suivi par une voyelle prononcée à l’avant de la bouche, comme le ‹ i ›, tendait à se déplacer vers l’avant. Ce processus linguistique a induit un glissement de Guyon à Dion.

Guyot, qui, comme Guyon, dérive du prénom Guy, a vécu une transformation parallèle en donnant naissance à Diotte. Certains noms ont cependant parcouru le chemin inverse : Pierre Andiran est l’ancêtre de tous les Languirand.

De la même façon, les Chiasson et Giasson partagent la même souche. Seule la vibration des cordes vocales en début de mot sépare ces deux noms. En l’absence d’une orthographe fixée, cette caractéristique phonétique était susceptible de fluctuer selon les régions, les époques et les individus. Ainsi, à l’instar de Guyon et Dion, il faut voir en cette paire de noms les deux faces d’une même pièce.

Les voyelles ont aussi été affectées par des changements linguistiques. Peut-être serez-vous surpris d’apprendre que les Harvey du Québec n’ont pas, pour la plupart, hérité leur nom d’un immigrant anglo-saxon. Leur nom est plutôt issu d’une transformation vocalique du nom Hervé.

Être à l’affût de sons effacés ou ajoutés

L’absence d’une norme orthographique stricte en ce qui concerne les noms propres favorise la variation orale. C’est donc tout naturellement que certains sons et syllabes, selon leur position dans le mot, tendent à apparaître ou disparaître.

Une cause d’ajout est l’introduction des articles définis lela et l’ devant les noms de famille : il était de coutume d’appeler les gens le Gagnonla Corriveau ou alors l’Andiran. La réinterprétation de cette structure en une forme fusionnée achève d’expliquer la transformation d’Andiran en Languirand.

Prononcez maintenant à voix haute Reguindeau, puis Reyindeau. Vous remarquerez probablement la proximité entre ces deux formes, et la facilité de passer de l’une à l’autre. Cette transformation du ‹ g › dur en ‹ y › est un exemple de palatalisation­; le même phénomène lie gueule à yeule. Vous aurez peut-être reconnu le nom de famille Riendeau, hérité du pionnier rochelais Joachim Reguindeau.

Le pionnier François Amirault dit Tourangeau offre un autre exemple d’élision en laissant parmi ses descendants des Amirault, mais surtout des Mireault, avec toutes leurs variantes orthographiques. Le phénomène inverse s’observe avec le prénom féminin Zélie, dont est née la variante Azélie.

L’alternance entre des prénoms qui ne sont essentiellement distingués que par quelques sons ou syllabes supplémentaires s’observe sans égard à la parenté étymologique. Au Canada français, Élisabeth et son dérivé ancien Isabelle se sont comportées comme deux variantes d’un même prénom jusqu’au 19e siècle. Inversement, Domitille et Mathilde, Jérémie et Rémi, Apolline et Pauline ainsi que Napoléon, Paul et Léon ne sont pas étymologiquement reliés.

Repérer les consonnes, voyelles et syllabes partagées

Au-delà des segments tronqués, certains noms ont des similitudes plus subtiles qui expliquent qu’ils ont souvent été confondus, et parfois même utilisés de façon interchangeable.

Apolline et Hippolyte, Jérémie et Germain, Mathilde et Martine ainsi qu’Alice et Élise illustrent ce phénomène. Dans d’autres cas, les ressemblances semblent encore plus ténues. Il est peu probable qu’un généalogiste d’aujourd’hui perçoive spontanément un lien entre Angélique, Julie et Judith; les registres montrent toutefois que ces trois prénoms ont souvent été utilisés en alternance par les mêmes femmes.

Toutes les apparitions de Marie Angélique (Judith, Julie) Desgranges dans les actes de PRDH-IGD.com, qui illustre l’interchangeabilité de ces prénoms au fil des actes.

Se concentrer sur la partie la plus distinctive

Un prénom avec une terminaison peu commune est susceptible d’être substitué par d’autres prénoms partageant cette caractéristique. C’est le cas de David et Ovide ou de Stanislas et Wenceslas.

La partie la plus distinctive d’un prénom, ou même d’un de famille, est parfois un noyau qui peut être complété par divers préfixes et suffixes. Ainsi, Rose se décline en Rosalie, Rosanna, Rosina et Rosa. Les prénoms féminins structurés autour du noyau ‹ del › sont un autre exemple de ce phénomène. En variant les débuts et terminaisons, ce groupe réunit Adèle, Adélaïde, Adeline, Délie, Délina, Délia, Délima, Odeline et même Odile, des prénoms qui ne sont pas tous étymologiquement liés mais qui en sont venus à se ressembler et parfois s’échanger.

De la même façon, il n’est pas surprenant que Brunet soit occasionnellement remplacé par Bruneau ou Brunel, ou que Gendreau alterne avec Gendron.

Connaître les combinaisons de prénoms inspirées des saints

Pour éclaircir ce dernier type de variation, il faut faire appel à la religion plutôt qu’à la linguistique. Certains saints et bienheureux portent des prénoms composés de plusieurs particules, le plus connu étant sans aucun doute Jean Baptiste. Un individu est alors susceptible d’utiliser l’une ou l’autre de ces particules. Ainsi, Rose de Lima offre comme options Rose et ses cousines Rosalie, Rosanna, Rosa de même que Délima et même Délina.

François Xavier, Jean François Régis, Pierre Chrysologue, Jeanne (Françoise Frémyot) de Chantal ou encore Marie des Anges, parmi tant d’autres, invitent eux aussi à une alternance entre les particules qui les composent.

La fonction ressemblance dans le LAFRANCE et sur PRDH-IGD.com

La fonction « Ressemblance » de l’engin de recherche du PRDH-IGD.com et du LAFRANCE de GenealogieQuebec.com permet de neutraliser certaines de ces variations.

Engin de recherche de PRDH-IGD.com avec la fonction Ressemblance activée.

Par exemple, la recherche de Mathilde en utilisant cette fonction génèrera une liste comprenant des Mathilde, Domitille, Martine, Donatille, Mélitime, Métheldée et Militilde, avec leurs diverses graphies, facilitant ainsi grandement la tâche des généalogistes.

 

Marielle Côté-Gendreau
Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.