Il existe plusieurs exemples de deux personnes ayant collaboré dans l’atteinte d’un résultat notoire qui a eu pour effet de lier leurs noms à jamais : Watson et Crick, qui ont identifié la structure en double hélice de la molécule d’ADN, Boyle et Mariotte, co-auteurs d’une des lois fondamentales de la Physique, Banting et Best qui ont découvert l’insuline, Stanley et Livingston, etc. Un autre exemple est celui qui existe au Canada français entre Basile Routhier et Calixa Lavallée, dont l’oeuvre commune représente une composante importante de l’identité canadienne.
Calixa Lavallée (gauche) en 1873 et Basile Routhier (droite) en 1890
Adolphe-Basile Routhier est né à St-Benoît en 1839. 9e enfant d’un couple qui en a eu 12, il s’est marié en 1862 et est décédé en 1920.
Fiche de famille des parents de Basile, Charles Routhier St-Onge et Angélique Biroleau Lafleur, PRDH-IGD.com
Son ancêtre paternel, Jean-Baptiste Routhier, originaire de la Saint-Onge, est venu au pays comme soldat au début du XVIIIe siècle.
Fiche d’individu de Jean Baptiste Routhier St-Onge, ancêtre paternel de Basile, PRDH-IGD.com
Avocat, juge, professeur et écrivain, Basile Routhier était un fervent catholique, un conservateur convaincu (il a tenté deux fois de se faire élire député fédéral, perdant chaque fois contre un adversaire Libéral) et, surtout, un ardent nationaliste. Au cours de sa longue vie, il a été un auteur prolifique, accumulant poèmes, articles de journaux et essais. Il a connu une brillante carrière : de 1883 jusqu’à sa mort, il fut Professeur de Droit international à l’Université Laval, Juge-en-chef à la Cour Supérieure du Québec et a présidé la Société royale du Canada dont il fut un des membres fondateurs.
Calixa Lavallée est né en 1842 à Verchères et est mort à Boston en 1891.
Sa mère, Caroline Valentine, était la fille d’un marchand écossais protestant qui a épousé une Canadienne-française.
Son ancêtre, Isaac-Étienne Paquet dit Lavallée (plus d’information sur les noms «Dit»), originaire du Poitou, était membre du Régiment de Carignan envoyé dans la colonie en 1665 pour combattre les Iroquois.
Fiche d’individu d’Isaac Paquet, ancêtre paternel de Calixa, PRDH-IGD.com
Calixa Lavallée était un talentueux musicien, idéaliste et rêveur, mais n’avait aucun sens des affaires, ce dont il a beaucoup souffert. Il est décédé à 49 ans, loin de son pays natal, à peu près inconnu et virtuellement oublié. Mais son indéniable talent lui permettra en fin de compte de s’assurer une place de choix dans l’histoire canadienne.
C’est le destin qui réunit en 1880 ces deux hommes aux parcours si contrastés. Ils étaient tous deux membres du comité organisateur de la « Convention nationale des Canadiens français » organisée par la Société St-Jean-Baptiste de Québec lorsque l’idée fut soulevée de créer un hymne national pour l’occasion, une musique à laquelle un poème à saveur patriotique pourrait être superposé. Routhier et Lavallée se portèrent aussitôt volontaires et huit jours plus tard, le Ô Canada était créé. Joué publiquement pour la première fois le 24 juin 1880, l’œuvre connut un succès immédiat.
Si on lit le texte complet de Routhier, on se rend immédiatement compte qu’il s’agit d’un ardent hommage aux Canadiens français, dès que l’on sait que le terme « Canadien » désignait à l’époque le Canadien français, par opposition à l’« Anglais ». Néanmoins, une version anglaise, soit un texte totalement différent intégré à la même musique, a été écrite par un dénommé Robert Stanley Weir en 1908 pour marquer le 300e anniversaire de la fondation de Québec. Cette version est elle aussi devenue populaire, possiblement parce qu’elle a été reproduite à compter de 1911 à l’arrière de plusieurs manuels scolaires.
Ainsi va l’Histoire : le Ô Canada est officiellement devenu en 1980 l’hymne national du Canada, un siècle après sa création comme chant patriotique canadien-français qui a réuni à jamais les noms de Basile Routhier et Calixa Lavallée.
(Cet article est en 3 parties. Cliquez pour consulter: Partie 2, Partie 3)
Lorsqu’on m’a demandé d’écrire sur le féminisme et la généalogie, je me suis d’abord demandé ce que je pourrais bien avoir à dire. Si j’ai développé une certaine expertise dans le domaine du féminisme, suite à mes études universitaires sur le sujet et à mon militantisme, je ne connaissais la généalogie que de loin. J’ai donc dû commencer par une phase de recherche, pendant laquelle Google et la bibliothèque de mon université, l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), furent mes meilleurs amis. J’ai essayé plusieurs combinaisons de mots clés avec « généalogie », en anglais et en français : « femmes », « féminisme », « patriarcat », « sexisme »…
L’arrivée des Filles du Roi / Eleanor Fortescue Brickdale – avant 1927, Bibliothèque et Archives Canada
Le premier constat qui est ressorti de ces recherches a été le fait que les femmes, dans les recherches généalogiques comme dans bien d’autres domaines, étaient souvent laissées de côté, au Québec comme ailleurs.
Sur la situation spécifiquement québécoise, plusieurs spécialistes se sont prononcé.e.s : Francine Cousteau Serdongs, de son vivant chargée de cours à l’UQÀM en travail social, diplômée et praticienne de la généalogie, affirme que très peu de généalogistes québécois.es peuvent répondre lorsqu’on leur demande le nom de leur pionnière utérine (celle qui se trouve à l’origine d’une lignée de femmes, qu’on remonte de fille en mère) (Cousteau Serdongs, 2008 : 131). Elle souligne également que les termes utilisés en recherche généalogique (comme une bonne partie des termes de la langue française d’ailleurs, où « le masculin l’emporte ») semblent mettre les femmes de côté : on parle ainsi de fratrie lorsqu’on fait référence à un ensemble de frères et de sœurs et on ne prend souvent pas la peine de mentionner que l’ascendance ou la descendance est patrilinéaire puisqu’on la considère ainsi par défaut (Cousteau Serdongs, 2008 : 133).
Mathieu Drouin, historien québécois, souligne d’ailleurs que la généalogie patrilinéaire est la « manière la plus connue – et généralement la plus aisée – de reconstruire son ancestralité » (Drouin, 2015) et que la généalogie mitochondriale ou matrilinéaire est plutôt « contre-instinctive ». René Jetté, historien, démographe et généalogiste, fait le même constat dans son Traité de généalogie en affirmant que la généalogie patrilinéaire est « la forme la plus ancienne et la plus pratiquée » (Jetté, 1991 : 110).
Finalement, Pierre-Yves Dionne, praticien de la généalogie et auteur du livre De mère en fille. Comment faire ressortir la lignée maternelle de votre arbre généalogique (2004), insiste sur le fait que les noms de famille des femmes québécoises leur viennent presque toujours d’un homme et utilise la généalogie pour développer les bases d’une transmission à de futures générations du nom d’un ancêtre commun aux filles de la famille : c’es Francine Cousteau Serdongs, Cousteau étant le nom de famille de sa pionnière utérine (Cousteau Serdongs, 2008 : 145).
Bien que le rôle des femmes dans l’Histoire soit de plus en plus mis en valeur (on parle de plus en plus par exemple du rôle des Filles du Roi, voir entre autres le livre d’Yves Landry sur le sujet (1992)) et bien que des efforts concrets soient faits pour faciliter les recherches généalogiques qui les concernent (je souligne à cet effet les efforts de l’Institut Généalogique Drouin qui inclut dans ses Grandes collections la « féminine », un répertoire alphabétique de mariages où les entrées sont faites au nom des femmes), j’avancerai dans cet article que notre travail en la matière n’est pas terminé, car la généalogie, comme le reste de notre société d’ailleurs, a été construite sur des fondements patriarcaux qui ne peuvent se déconstruire que sur le long terme. Je me pencherai donc dans cette première série d’articles sur la situation des femmes dans les recherches généalogiques au Québec. Dans ce premier texte, je m’attarderai à comprendre ce qui fait en sorte que les femmes sont moins présentes que les hommes dans les recherches généalogiques ; je démontrerai ensuite, dans les articles suivants, quelles en sont les conséquences et les possibles solutions.
Comme je l’ai mentionné, notre société, pratiques généalogiques comprises, est une société patriarcale. Comme le souligne Geneviève Pagé, professeure de science politique à l’UQÀM, « le patriarcat ne signifie pas que toutes les femmes sont soumises à tous les hommes, mais bien que le groupe des hommes, de manière générale, domine le groupe des femmes. Ainsi, ce n’est pas parce qu’une femme a eu beaucoup de pouvoir […] que nous ne vivons plus dans une société patriarcale » (Pagé, 2017 : 354). Malgré, donc, les avancées que les femmes et les féministes ont fait en histoire, en généalogie et dans le reste de la société, nous vivons toujours dans un système patriarcal. En généalogie, la marginalité des lignées matrilinéaires dont plusieurs experts.es ont fait état en témoigne. Dans l’ensemble de la société, l’iniquité salariale, la sous-représentation des femmes dans les lieux de pouvoir (comme les instances politiques) et leur sur-représentation dans les statistiques d’agression conjugale et sexuelle le démontrent bien (voir Pagé, 2017 : 353-354).
Le patriarcat a donc forgé, à travers l’histoire, un héritage sexiste que nous n’avons pas activement construit, mais avec lequel nous devons composer et qui explique en partie pourquoi les lignées de femmes sont souvent invisibilisées dans nos recherches. Les moyens de passation du nom de famille, peuvent en effet donner du fil à retordre aux chercheurs et chercheuses. Tout d’abord, le fait que les femmes changent de nom de famille à chaque génération alors que les hommes transmettent leur nom de famille à leur descendance rend les lignées matrilinéaires moins évidentes.
Ensuite, le mariage a parfois pu brouiller les cartes dans le cas des femmes : si dans les actes des registres paroissiaux catholiques, elles conservent leur nom de jeune fille pour tout ce qui les concerne directement (mariage(s), décès) ou ce qui concerne leur époux (remariage, décès) ou ses enfants (naissances, mariages, décès), ce n’est généralement pas le cas des registres protestants et des recensements historiques canadiens jusqu’au début du XXe siècle où les femmes étaient nommées par le patronyme de leur époux tant que celui-ci était vivant (Jetté, 1991 : 436).
Mariage catholique: l’épouse est nommée sous son nom de jeune fille dans l’acte. Source: Acte 345331, LAFRANCE, GenealogieQuebec.comMariage protestant; l’épouse est nommée par le nom de famille de l’époux dans l’acte. Source: Acte 4778127, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com
Judy Russell, généalogiste et diplômée en droit états-unienne, traite de la situation dans son pays. Elle précise que d’autres facteurs peuvent intervenir dans la difficulté de retracer certaines femmes lors d’une recherche généalogique. Le fait qu’elles ne recevaient que rarement un héritage, qu’elles ne pouvaient pas faire de démarches judiciaires en leur nom, posséder une terre ou un compte en banque, a effacé leurs noms de bien des registres (Clyde, 2017a). Ces sources restent complémentaires : généralement, ce sont les registres de mariages, de décès et de naissances qu’on utilise pour faire une généalogie et heureusement, on considère généralement le travail du Québec en cette matière assez exhaustif (Jetté, 1991 : 432), mais il y a toujours quelques oublié.e.s : lorsque ce sont des femmes, elles sont malheureusement plus difficiles à retrouver.
Malgré que cet héritage patriarcal nous ait été légué et que ce ne soit pas nous qui l’ayons activement construit, je crois qu’il est de la responsabilité de chaque membre d’une société de travailler à la rendre plus égalitaire. Après tout, ces orientations qui nous ont été léguées et qui mettent de l’avant les lignées d’hommes, nous les reproduisons jour après jour et nous avons le pouvoir de les changer. C’est ainsi que Francine Cousteau Serdongs remet en question l’organisation de la généalogie en tant que science et pratique, de même que les individus, peu importe leur genre, qui font des recherches autour de leur histoire de famille (2008 : 132). Je m’attarderai ainsi dans mes deux prochains articles à détailler les conséquences de cette invisibilisation sur la vie des femmes et à explorer plus en profondeur les pistes de solution possibles.
Audrey Pepin
Bibliographie
Clyde, Linda. (2017a, 26 avril). Ever Wonder Why It’s So Hard to Trace Your Female Ancestry? Family Search [Blog]. Récupéré de https://www.familysearch.org/en/blog/ever-wonder-why-its-so-hard-to-trace-your-female-ancestry
Cousteau Serdongs, Francine. (2008). Le Québec, paradis de la généalogie et « re-père » du patriarcat : où sont les féministes? De l’importance d’aborder la généalogie avec les outils de la réflexion féministe. Recherches féministes vol. 21, no. 1, p.131-147. https://doi.org/10.7202/018313ar
Dionne, Pierre-Yves. (2004). De mère en fille : comment faire ressortir la lignée maternelle de votre arbre généalogique. Sainte-Foy : Éditions MultiMondes ; Montréal : Éditions du Remue-Ménage, 79 p.
Jetté, René. (1991). Traité de Généalogie. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 716 p.
Landry, Yves. (1992). Orphelines en France, pionnières au Canada. Les Filles du roi au XVIIe siècle suivi d’un répertoire biographique des Filles du roi. Montréal : Éditions Bibliothèque Québécoise, 280 p.
Pagé, Geneviève. (2017). La démocratie et les femmes au Québec et au Canada dans La politique québécoise et canadienne, Gagnon et Sanschagrin (dir.), 2e édition. Québec : Presses de l’Université du Québec, p.353 à 374.
Reny, Paule et des Rivières, Marie-José. (2005). Compte-rendu de Pierre-Yves Dionne De mère en fille. Comment faire ressortir la lignée maternelle de votre arbre généalogique. Montréal, Les Éditions Multimondes et les éditions du remue-ménage, 2004, 79 p. Recherches féministes, vol. 18, no. 1, p.153-154. https://doi.org/10.7202/012550ar
L’esclavage a permis à plusieurs sociétés de créer du revenu sur le dos des exploités. L’histoire de l’esclavage n’est pas un secret, en revanche, peu de Canadiens savent que leurs ancêtres ont profité de cette exploitation sous prétexte de la supériorité blanche. En effet, aussi tôt qu’en 1629 jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1834, les colons français et britanniques situés sur le territoire du Québec ont asservi des Autochtones et des Noirs.
Le premier individu ayant été reconnu comme esclave sur le territoire Québécois d’aujourd’hui est Olivier Le Jeune, petit enfant malgache de 8 ans qui se fait prendre en esclavage par les frères Kirk et qui termine ses jours à environ 30 ans comme domestique de Guillaume Couillard. Le terme domestique est utilisé ici car le mot esclave n’est pas encore reconnu et cette institution n’est pas normalisée au niveau juridique* en Nouvelle-France à l’époque. L’acte illustré à la figure 1 montre la seule trace provenant des actes religieux qui prouve la présence de ce malgache au Québec. Des études exhaustives des correspondances ont permis de découvrir son histoire et de connaitre sa provenance.
« Le 10 de may mourut a l’hopital Olivier Le Jeune domestique de Monseigneur Couillar après avoir reçu le sacrement de confession et communion par plusieurs fois il fut enterré au cemetiere de la paroisse le mesme jour. »
Figure 1. Olivier Le Jeune : premier esclave noir connu sur le territoire. Source: Acte 68801, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com
Olivier le Jeune est la première preuve de la société esclavagiste qu’a été le Québec ancien. Marcel Trudel, pionnier dans l’étude des esclaves appartenant aux Canadiens français, recense 4 185 esclaves autochtones et noirs dans la vallée laurentienne du XVIIe au XIXe siècle (Trudel, 2004). Ces esclaves provenaient majoritairement des alliances avec les Premières Nations, étant des prisonniers de guerre provenant de différents groupes autochtones ennemis des Nations alliées aux Français (Rushforth, 2012).
Cependant, ce chiffre représente seulement les esclaves trouvés dans les archives écrites. Nous croyons qu’il y a eu environ 10 000 esclaves autochtones en Nouvelle-France entre 1660 et 1760, mais nous ne connaissons le nom que de 1200 d’entre eux (Rushforth, 2016).
La trace des esclaves dans les archives est subtile et difficilement repérable. Peu de chercheurs se sont attaqués à la tâche colossale de les identifier. Tout d’abord, le terme esclave n’apparait qu’en 1709 dans les documents officiels, lorsque l’intendant Raudot normalise la présence des esclaves sur le territoire du Québec (Trudel, 1990 : xvi).
Cependant, les prêtres demeurent réticents à utiliser ce terme. Dans les archives paroissiales disponibles sur PRDH-IGD.com et GenealogieQuebec.com pour la période, le mot esclave n’est mentionné que 207 fois. C’est plutôt grâce au terme panis qu’on identifie généralement les esclaves autochtones. Parmi ceux-ci, on retrouve le jeune Paul, esclave de Paul Lecuyer résidant à Montréal. Son acte de baptême illustré à la figure 2 stipule ceci :
« Ce jour d’huy dixseptième aoust mil sept cent quatre a esté baptisé paul sauvage de la nation des panis aagé environ de dix ans demeurant en la maison de paul lecuyer habitant de cette parroisse qui dit avoir achepte le dit sauvage pour la premierre fois desdits sauvages panis et aiant este pris esclaves par d’autres sauvages nommés les renards. Il la rachepte deulx et a le dit paul lecuyer este le parain dudit enfant baptisé et sa femme nommée francoise leconte en a este la maraine quy ont promis l’eléver et l’instruire en la foy catholique apostolicque et romaine aiant dessein de le re tenir a leur service tout autant de temps quil plaira a Dieu de disposer de luy a la mareinne signé et le parain a declaré ne seavoir escrire ny signer de ce enquis suivant l’ordonnance. »
Figure 2. Acte de batême de Paul, esclave de Paul Lecuyer. Source: Acte 13744, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com
Cet acte de baptême illustre que le jeune Paul n’est pas directement identifié comme étant l’esclave de Paul Lecuyer, mais seulement demeurant en [sa] maison et que l’homme et sa femme ont le dessein de le re tenir à leur service. Le prêtre mentionne aussi que son parrain et sa marraine, ses propriétaires, l’élèveront dans la religion catholique et ne remet pas en doute la légitimité de la présence de ce jeune autochtone dans la maisonnée, montrant ainsi la normalité de la pratique.
Cet acte est le seul concernant cet esclave. Nous ne trouvons pour l’instant pas d’acte de sépulture le concernant, malgré la promesse de son parrain et de sa marraine de l’élever dans la religion catholique; il semble qu’ils ne lui aient pas offert de sépulture en terre catholique. Est-ce que ses propriétaires l’ont vendu à autrui? Est-ce qu’il a réussi à fuir sa condition servile? Ces questions restent malheureusement sans réponse à partir des actes paroissiaux.
Portrait d’une femme haïtienne, celle-ci aurait été l’eslave de la femme du peintre québécois François Beaucourt. 1786, Wikimedia Commons
Afin d’identifier les esclaves dans les registres, il faut souvent faire preuve de déduction en se basant sur les termes et sous-entendus utilisés dans les actes. En effet, même s’il est indiqué dans le système du PRDH-IGD qu’un individu est esclave, le mot n’est généralement pas écrit de façon explicite.
Prenons le cas de Marguerite Françoise, une panisse baptisée à l’âge de 14 ans, dont le baptême est illustré à la figure 3. Le rédacteur indique dans l’acte qu’elle est sauvagesse de la nation des panis. Cette mention nous permet déjà d’inférer son statut d’esclave (Trudel, 1960). De plus, la dernière phrase de son baptême mentionne que l’acte est signé par Louise Bizard épouse de M. Dubuisson capitaine des troupes et maitre de ladite sauvagesse. La mention de maitre démontre que Charles Dubuisson possède Marguerite Françoise et que celle-ci n’a pas d’autre liberté que de servir Charles Dubuisson et sa famille.
« Le dixseptieme avril mil septcent dix huit a été baptisée par nous soussigné curé et official de quebec marguerite francoise sauvagesse de la nation des panis agée de quatorze à quinze ans son parain a été sieur charles dubuisson et la maraine dame marie magdelaine dubuisson qui on déclaré ne seavoir signer et en leur place a signé madame louise Bizard epouse de M. Dubuisson capitaine des troupes et maitre de ladite sauvagesse »
Figure 3. Acte de baptême de Louise Française, esclave de Charles Dubuisson. Source: Acte 64150, LAFRANCE, GenealogieQuebec.com
C’est avec ces termes en connotation avec l’esclavage que Marcel Trudel a pu former le Dictionnaire des esclaves et leurs propriétaires en 1990, révisé en 2004, contentant 4 185 esclaves noirs et autochtones. Ces recherches ont été effectuées dans les actes paroissiaux, mais aussi les registres de malades de différents hôpitaux, les recensements, des actes notariés et autres. Des recherches plus approfondies dans les archives permettront sans doute d’en connaitre davantage et ainsi trouver les esclaves manquants à cette première recherche.
Dans les prochains articles de cette série, nous aborderons la place et les conditions de vie des esclaves ayant vécu au Québec sous le joug de l’esclavagisme des colons français et britanniques. Ces recherches sont basées sur les découvertes de Marcel Trudel dans les registres paroissiaux et approfondies par mes recherches personnelles ainsi que celles de mes collègues chercheurs travaillant sur le même sujet.
Cathie-Anne Dupuis Étudiante à la maitrise en démographie, candidate au doctorat en histoire et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.
*L’esclavage existe bel et bien à cet époque, la pratique de l’esclavage étant de nature coutumière. La norme qui garantit la propriétés de l’esclaves aux propriétaires est permise avec l’ordonnance de Raudot en 1709. (Gilles, 2008) N.B Le mot « sauvage » est cité seulement pour la représentation historique; nous condamnons l’utilisation de ce mot dans un autre contexte.
GILLES, D. 2008. La norme esclavagiste, entre pratique coutumière et norme étatique : les esclaves panis et leur statut juridique au Canada (XVIIe – XVIIIe s.) Ottawa Law Review, vol. 40, No.1, p. 73 – 114 RUSHFORTH, B. 2012. Bonds of Alliance, Indigenous and Atlantic Slaveries in New France, Caroline du Nord, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 406 p. RUSHFORTH, B. et KAHN, A. 2016. Native American Slaves in New France, Slate, History, Then, again. [en ligne] URL: http://www.slate.com/articles/news_and_politics/history/2016/01/an_interactive_record_of_native_american_slavery_in_new_france.html (page consultée le 27 octobre 2020) TRUDEL, M. 1960. L’esclavage au Canada français, histoire et conditions de l’esclavage, Québec, Les Presses Universitaires Laval, 432 p. TRUDEL, M. 1990. Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français, Québec, Éditions Hurtubise HMH ltée, 490 p. TRUDEL, M. 2004. Deux siècles d’esclavage au Québec, Québec, Éditions Hurtubise HMH ltée, 405 p.
La variole, aussi nommée petite vérole ou picote, est une maladie fort contagieuse et souvent mortelle qui a été un véritable fléau dans plusieurs régions du monde jusqu’à son éradication en 1979. Son impact sur le Québec dans sa période coloniale a été abordé dans la première partie de cet article.
François d’Assise et d’autres religieux soignant des personnes qui semblent atteintes de variole. Wikipedia Commons.
C’est en 1885 que la petite vérole frappe pour la dernière fois le Québec, soit près d’un siècle après la conception du vaccin contre la maladie. Pourtant, la vaccination n’était pas répandue chez les Canadiens français malgré des efforts soutenus des gouvernements pour encourager, voire imposer celle-ci.
En mars 1885, un conducteur du Grand Trunk Railway apporte la variole à Montréal. Ses draps infectés contaminent ensuite Pélagie Robichaud, qui travaille à la buanderie de l’hôpital où l’homme est soigné. Elle est la première morte de l’épidémie de variole de 1885. Sa sépulture indique qu’elle décède à Montréal le 2 avril.
À la suite de la contagion de Pélagie Robichaud, la maladie fait plusieurs milliers de morts entre 1885 et 1886, notamment à Montréal. La vaccination sera imposée aux Montréalais, non sans résistance : plusieurs émeutes anti-vaccination éclatent dans la population méfiante.
Le camp anti-vaccin compte des acteurs d’importance : citons par exemple Joseph Émery-Coderre, éminent médecin militant contre la vaccination obligatoire. L’Église catholique est appelée en renfort pour convaincre la population réticente. L’évêque de Montréal, Mgr Édouard-Charles Fabre, joue un rôle décisif en appuyant publiquement la campagne de vaccination et en commandant aux prêtres de son diocèse de faire de même auprès de leurs paroissiens.
Cette crise survient dans un contexte politique complexe : elle éclate en même temps que la rébellion du Nord-Ouest, au cours de laquelle les Métis des Prairies se révoltent contre le gouvernement canadien. Généralement descendants de Canadiens français et d’autochtones, les Métis de l’Ouest canadien sont majoritairement francophones et catholiques et leur rébellion jouit d’un soutien considérable au Québec.
Son échec, qui se solde notamment par la pendaison de Louis Riel, exacerbe considérablement les tensions entre francophones et anglophones au Québec ainsi que la méfiance des Canadiens français envers les directives du gouvernement. On attribue notamment à John A. Macdonald, alors Premier ministre du Canada, la phrase « [Riel] sera pendu, même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur ».
Le gouvernement provisoire constitué par les Métis et leur chef Louis Riel. Wikimedia Commons.
Du côté des journaux, francophones et anglophones se renvoient la balle, évoquant d’une part l’hystérie des Canadiens anglais et d’autre part la malpropreté des Canadiens français. Le 12 septembre 1885, L’Union des Cantons-de-l’Est, journal basé à Victoriaville, publie un article sur les prétendus ravages de la « picotte ». En voici l’introduction :
« Si nous en croyions les journaux des Etats-Unis publiés en langue anglaise, la picotte serait en train de décimer la bonne ville de Montréal. Pratiquement, notre métropole commerciale est en quarantaine à l’heure qu’il est! Beaucoup de monde souffre et un plus grand nombre encore souffriront de cet état de choses. Et à qui la faute? A la presse de votre ville, bonnes gens de Montréal. C’est elle qui a répandu partout que la picotte vous rongeait, que le fléau prenait des proportions horribles, que toute la cité allait y passer. »
Ainsi, cet article accuse les journaux de langue anglaise d’exagérer considérablement les proportions de l’épidémie de variole, d’autant plus que les Canadiens anglais semblent attribuer aux Canadiens français la gravité de la situation :
« Maintenant, comme il faut une bête noire partout, on a imaginé que les canadiens français devaient être les auteurs et les propagateurs de l’épidémie. Le Herald de Montréal a accusé nos co-nationaux d’être ignorants, sales, crasseux, etc. C’est une grosse calomnie! Nos canadiennes françaises sont généralement propres, industrieuses, passant les trois quarts du temps à laver et écurer dans leur maison. »
Cet article ne rejette pas pour autant la science et reconnaît les lacunes du peuple canadien-français pour ce qui est de l’hygiène.
« Aussi les ravages de l’indifférence pour la lecture et les sciences sont infiniment plus à redouter que ceux de la picotte à Montréal dont les victimes ne dépassent pas quelques dizaines. »
Toujours en septembre 1885 paraissent cependant dans L’Union des Cantons-de-l’Est des remèdes et recettes pour soigner la variole, perpétuant l’idée que la vaccination était au mieux superflue, sinon dangereuse.
« Je me rappelle avoir lu dans le (Journal de l’instruction publique), que la racine de la Sarrasine [sarracénie] était un antidote contre cette maladie. Vite je me mets à l’oeuvre, j’envoie mon peti servant de messe, un jeune montagnais, me chercher la plante en question, nous infusons la racine, à peine en eurent-ils pris deux ou trois potions qu’ils éprouvèrent un bien sensible, la fièvre disparut, les pustules séchèrent, ils étaient hors de danger, ils n’ont même pas porté les marques de la picote. »
« Quand Jenner découvrit le vaccin de la vache en Angleterre, le monde de la science voulut faire éclater la foudre sur sa tête ; mais quand l’École de médecine la plus savante de l’univers, celle de Paris, publia cette recette pour la variole, elle passa sans encombre. Elle est aussi infaillible que le sort et remporte la victoire dans tous les cas. Sulphate de zinc, 1 grain ; digitale, 1 grain ; 1 1/2 cuillérée à thé de sucre. Mêlez avec deux cuillérées à table d’eau. Quand le mélange est parfait ajoutez quatre onces d’eau. Prenez une cuillérée à thé chaque heure. La maladie disparaîtra en douze heures. »
L’épidémie de 1885 constitue la dernière crise sanitaire d’envergure liée à la variole dans le monde occidental, un peu moins d’un siècle avant l’annonce de son éradication complète grâce à la vaccination. 1979 marquera la fin du virus responsable d’une des maladies contagieuses les plus mortelles de l’histoire de l’humanité, dont quelques échantillons seulement subsistent à des fins de recherche.
Marielle Côté-Gendreau Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.
La variole est une maladie fort contagieuse et souvent mortelle qui a été un véritable fléau dans plusieurs régions du monde jusqu’à son éradication en 1979. Elle a affecté la population canadienne-française à de multiples occasions depuis le début de la colonie, faisant des ravages dans les paroisses.
C’est sous les noms de petite vérole ou picot(t)e que la variole est le plus souvent désignée dans les registres québécois. Ce nom de picote tire son origine des cloques qui couvrent le corps des malades.
Enluminure présentant une maladie qui semble être la variole, Bible de Toggenburg (Suisse), 1411. Wikimedia Commons.
Ainsi, le curé de L’Islet, village de la Côte-du-Sud, souligne l’usage de ces deux noms dans une note en marge d’une sépulture. Il enregistre le 24 août 1792 le décès de Marie Louise Bernier, 19e et « dernière morte de cette maladie, c’est à dire de la petite vérole ou de la picote en terme canadien, ou français, depuis le 23 d’octobre 1791 ».
C’est la petite vérole qui est en cause dans l’infection de Premières Nations ennemies des Britanniques par l’entremise de couvertures contaminées, une initiative qui aurait été approuvée par l’officier Jeffrey Amherst. Cet événement a fait parler de lui dans les dernières années alors que Montréal s’est départie de sa rue Amherst, renommée Atateken. N’étant pas présente en Amérique avant la venue des Européens, la variole a fait des ravages parmi les peuples autochtones dès les débuts de la Nouvelle-France.
Le 4 mai 1709 est baptisé à Ste-Anne-de-Bellevue Louis Miskouabemich, homme de la nation népissingue. L’acte le dit âgé de 110 ans, ce qui est improbable mais signale certainement un âge avancé. L’aîné avait précédemment reçu l’ondoiement, une cérémonie rapide qui tient lieu de baptême en cas de danger de mort.
En effet, Louis « est dangereusement malade de la petite vérol ». Son âge et possiblement son statut lui procurent un parrainage fort avantageux : son parrain n’est nul autre que Philippe de Rigaud, Marquis de Vaudreuil, qui est alors gouverneur général de la Nouvelle-France, dont l’épouse Élisabeth de Joybert tient le rôle de marraine. Le couple se fait représenter à la cérémonie par un couple de notables de l’endroit.
Louis Miskouabemich meurt le 27 juin de la même année.
La variole est connue pour provoquer des fausses couches et des accouchements prématurés, de même qu’une augmentation de la mortalité infantile. On trouve nombre de ces drames dans les registres québécois.
Marie Huguet dit Latour, de L’Ancienne-Lorette, près de Québec, connaît en 1755 une fin tragique : « la premiere picotée l’ayant apporté de québec morte enseinte son enfant baptisé par la sage femme dans le sein de sa mere ». Ce décès ne survient que 6 mois après son mariage. L’enfant, qu’on suppose donc fortement prématuré, n’a manifestement pas survécu alors qu’il a été ondoyé avant même l’accouchement.
D’autres traces de la prématuration liée à la variole se trouvent dans les registres de Lachine. On y découvre en 1702 la sépulture d’un enfant « né cette nuit aagé de sept mois sa mère estant malade de la picotte et en cas de danger il a esté ondoié par Jeanne Malteau sage femme ».
La reconstitution des familles disponible sur le PRDH-IGD nous apprend cependant que la mère, Barbe Brunet, a vaincu la maladie et est décédée à Châteauguay à l’âge respectable de 74 ans.
Quelques mois après cet enfant décède Marie Fortin, « laquelle est morte cette nuict de la picotte en accouchant d’une fille aagée de six mois et demi quy a l’instant a esté ondoiée par la sage femme ensuitte est morte et a esté enseveliée avec sa mère et enterrée avec elle dans la même fosse ».
La variole prend aussi une part active dans un drame historique, la tristement célèbre Déportation des Acadiens par la Grande-Bretagne et ses colonies américaines en 1755, au cours de laquelle plus de 12 000 d’entre eux sont violemment arrachés à leurs terres. La variole se développe dans certains groupes, s’ajoutant aux fléaux de la faim, de la soif, du froid et des autres maladies qui déciment déjà les Acadiens.
Des centaines qui atteignent le Québec, plusieurs sont fortement affaiblis par la variole. En témoignent les nombreuses sépultures marquées « acc » ou « acad » dans les registres de Notre-Dame-de-Québec, identifiant les décès acadiens. L’hiver 1757-1758 est particulièrement mortel.
26 au 28 décembre 1757, Notre-Dame-de-Québec. Remarquer les nombreuses mentions « acad » en marge. Source: Image d1p_31431309.jpg, Registres du Fonds Drouin (Québec/Fonds Drouin/QC/Catholique/Québec (Notre-Dame)/1750/1757/), GenealogieQuebec.com
L’errance des Acadiens en exil dure parfois plusieurs années, comme l’illustre l’inhumation dans le cimetière de Saint-Cuthbert de Catherine, « Cadienne morte de la picotte apres avoir recu tous ses sacrement sitot quelle est arrivé dans la ditte paroisse », le 6 novembre 1769.
Il apparaît que la variole a sévi dans les rangs de l’armée britannique en garnison au Québec. Nous trouvons dans les registres de Berthierville, anciennement appelé Berthier-en-Haut, ce curieux acte :
» We the undernamed persons do hereby certify that John Mackffee, soldier in the 28th Regiment and in Captain Darlis (?) Company and Jennet Forah were married and lawfully entered the bond of Matrimony, and that some time after, said Macfee was, by the Providence of God seized with the Small Pox and dyed at Quebec in June 1766 dated at Quebec the 10th day of September 1766 «
En voici la traduction : « Nous soussignés certifions que John Mackffee, soldat dans le 28e Régiment et dans la compagnie du Capitaine Darli (?) et Jennet Forah ont été mariés et légalement unis dans les liens du mariage, et que quelque temps plus tard, ledit Macfee a été, par la Providence de Dieu saisi de la Petite Vérole et mourut à Québec en juin 1766 Daté à Québec le 10 septembre 1766 »
S’en suit un paragraphe rédigé en français, dans lequel le rédacteur juge cet étrange acte convenable et autorise la veuve à contracter un nouveau mariage si elle le souhaite.
« Le present extrait mortuaire me parrait dans la forme convenable selon les usages des troupes de cette province; quoy que je ne connaisse pas les signatures; si celuy dont la mort y est attestée est le meme avec qui était mariée la personne qui se présente pour un nouveau mariage, vous pourrez la regarder comme veuve et passer outre. ayez seulement soing den verifier le nom autant qu’il vous sera possible a montreal le 6 may 1768 »
Source: Image d1p_1161b0055.jpg, Registres du Fonds Drouin (Québec/Fonds Drouin/B/Berthierville/1760/1766/), GenealogieQuebec.com
10 ans plus tard, la variole joue un rôle important dans l’échec de l’invasion du Québec britannique par les révolutionnaires américains en 1775 et 1776. Une épidémie de variole dans les rangs rebelles réduit considérablement les effectifs disponibles et force l’abandon du projet de conquête.
Ainsi, la variole affecte périodiquement pendant deux siècles les habitants du Québec à coups d’épidémies d’envergures variables. C’est en 1885 que la petite vérole frappe pour la dernière fois le Québec. Montréal sera alors l’épicentre d’une sévère épidémie. Cette crise et ses répercussions, tant sur les plans sanitaire que politique, seront abordées dans la seconde partie de cet article.
Marielle Côté-Gendreau Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.
Les maladies contagieuses ont frappé à plusieurs reprises le Québec depuis le 17e siècle. Les épidémies apportent certes leur lot de décès, mais elles font évoluer à chaque fois les mesures sanitaires et les croyances. Cet article raconte, par l’entremise des journaux d’époque et des actes paroissiaux, l’histoire de l’épidémie de choléra qui frappe le Québec en 1832, puis dans une moindre mesure en 1834. Les documents utilisés dans cet article proviennent de PRDH-IGD.com ainsi que des Collections diverses de l’Institut Drouin et du LAFRANCE, disponibles sur GenealogieQuebec.com.
Le choléra à Quebec – Joseph Légaré
Nommée indifféremment choléra asiatique, morbus ou spasmodique, la maladie, originalement limitée à l’Asie, se répand au cours du 19e siècle dans le monde occidental par l’entremise d’une série de pandémies. Partie de l’Inde vers 1826, la deuxième pandémie de choléra gagne les Îles Britanniques en février 1832. Les immigrants irlandais sont responsables de l’introduction de cette maladie infectieuse au Bas-Canada. Elle y fait des ravages et constitue la première épidémie de grande envergure au Québec.
C’est en février 1832, en prévision de l’arrivée du choléra, qu’est créé le poste de quarantaine de Grosse-Île, qui accueille les immigrants avant de leur permettre l’accès au port de Québec. L’île, située une cinquantaine de kilomètres avant Québec, est aujourd’hui un lieu historique national.
Québec est le premier foyer de l’épidémie en Amérique. Le 4 juin, le Quebec Gazette annonce l’arrivée imminente du Carricks à la station de Grosse-Île :
« Capt. Park de l’Astrea, arrivé hier, a communiqué avec le Carricks, [capitaine] Hudson, de Dublin, à Grosse Isle samedi [2 juin 1832]. Le Carricks a perdu 42 passagers, son charpentier et un garçon [d’équipage] d’une maladie inconnue. Le reste des passagers et de l’équipage sont maintenant en bonne santé. »
Source: The Quebec Gazette, 4 juin 1832. Image QG_13_0020, Collections diverses de l’Institut Drouin (23 – Journaux anciens/The Quebec Gazette/1832/06), GenealogieQuebec.com
Il est pourtant déjà connu en Amérique que cette « maladie inconnue », le choléra, fait des ravages en Europe, et les journaux suivent la situation de près. Pour ne pas alerter la population, le surlendemain, le Quebec Gazette .écrit:
« Des rumeurs circulent de façon très générale comme quoi le choléra morbus a atteint la station de quarantaine, etc. Il est nécessaire de réitérer que, jusqu’à ce qu’une annonce officielle soit faite à ce sujet, elles sont à rejeter entièrement. »
Source: The Quebec Gazette, 6 juin 1832. Image QG_13_0021, Collections diverses de l’Institut Drouin (23 – Journaux anciens/The Quebec Gazette/1832/06), GenealogieQuebec.com
Les autorités officielles, par l’entremise du nouvellement créé Bureau de santé, confirment que « [l]a rumeur selon laquelle il y aurait à la station des personnes malades du choléra est entièrement sans fondement. »
Source: The Quebec Gazette, 8 juin 1832. Image QG_13_0022, Collections diverses de l’Institut Drouin (23 – Journaux anciens/The Quebec Gazette/1832/07), GenealogieQuebec.com
Elles indiquent que le Carricks subit les procédures de désinfection et sont confiantes que le choléra n’atteindra pas le Canada. Cette conviction est fondée sur une opinion favorable de la situation sanitaire du peuple canadien :
« Il a été trouvé dans toutes les parties du monde que le cholera spasmodique envahit et détruit uniformément, à la vitesse de l’éclair, ceux qui s’adonnent aux boissons fermentées, et à l’intempérance de toute sorte, – ceux qui sont dissolus – fainéants – sales – deviennent ses victimes, alors que ceux qui sont propres, tempérés et industrieux y échappent.
Ceci est un élément de consolation et d’espoir, surtout pour un peuple qui, comme les Canadiens, dans les districts ruraux en particulier, se distinguent par leur sobriété, leur industrie et leur propreté; et qui, de surcroît, puisqu’ils sont exempts des maux de l’extrême pauvreté, sont proportionnellement protégés des attaques les plus sévères de la maladie.
Si le choléra spasmodique devait donc apparaître dans un tel peuple, il serait probablement très limité dans son étendue, et atténué dans sa sévérité. »
Source: The Quebec Gazette, 11 juin 1832. Image QG_13_0023, Collections diverses de l’Institut Drouin (23 – Journaux anciens/The Quebec Gazette/1832/07), GenealogieQuebec.com
En effet, le choléra est le plus meurtrier dans les quartiers populaires. La contagion est favorisée par la forte densité de population et les mauvaises pratiques d’hygiène. Contrairement aux projections du Bureau de santé, le tableau suivant, publié le 2 juillet 1832 dans le Quebec Gazette, soit un mois après l’arrivée du Carricks, montre l’évolution rapide des cas de choléra dans les hôpitaux de la capitale. L’absence de mesures strictes pour contenir la maladie permet au choléra d’atteindre Montréal, qui sera aussi frappée de plein fouet.
Source: The Quebec Gazette, 4 juillet 1832. Image QG_13_0036, Collections diverses de l’Institut Drouin (23 – Journaux anciens/The Quebec Gazette/1832/07), GenealogieQuebec.com
Parmi les milieux les plus à risque, l’insalubrité et la promiscuité des prisons les rendent particulièrement vulnérables au développement de l’épidémie. Le 17 juin 1832, deux semaines seulement après l’arrivée du Carricks à Grosse-Île, sont inhumés à Montréal « deux hommes de noms inconnus, morts du Choléra morbus dans la prison de cette ville ».
Néanmoins, la haute société n’est pas épargnée. L’acte suivant consigne le 2 juillet à Beauport le décès du choléra de Marie Louise Fleury De La Gorgendière, veuve de l’Honorable Louis Antoine Juchereau Duchesnay, seigneur de Beauport et homme politique et militaire.
Les comptes-rendus de l’époque indiquent que le choléra peut agir de façon foudroyante : il n’est pas rare qu’un individu d’apparence saine le matin décède dans la journée de déshydratation rapide causée par des diarrhées extrêmes. Cette réalité est reflétée dans les actes paroissiaux : le suivant révèle qu’Angélique Angers est morte le 8 août à Neuville « du choléra après dix heures de maladie ».
Le cimetière Saint-Louis de Québec, installé au coin de la Grande Allée et de l’avenue De Salaberry, est ouvert en 1832 pour accueillir les victimes du choléra. Il prend rapidement le surnom de cimetière des Cholériques et accueillera notamment jusqu’en 1855 les morts du choléra et du typhus.
Les décès s’accumulent à un tel point que les prêtres ont de plus en plus recours aux sépultures de masse. En voici la première occurrence :
« Le treize Juin, mil-huit-cent-trente-deux, nous Diacre de ce Diocèse, soussigné, par l’autorisation spéciale de l’Evêque de Québec, avons inhumé dans le Cimetière Saint Louis, cinquante-quatre individus, dont nous n’avons pu nous procurer les noms tous décédés du Choléra-Asiatique à l’Hôpital des Emigrés, et de professions et d’âges à nous inconnus. »
Si les deux grandes villes du Québec connaissent chacune quelques milliers de décès, la contagion étant évidemment favorisée par la densité et les mouvements de population, le choléra sévit aussi dans les campagnes. Penchons-nous par exemple sur le cas de cette famille de La Prairie : Félicité Denault et sa fille nouvellement mariée Émilie Chabot s’éteignent toutes deux le 23 juin 1832. Trois jours passent avant que leur mari et père Louis Chabot ne les rejoigne dans la tombe. Cette famille avait déjà été durement frappée par la mortalité juvénile, qui avait emporté au moins sept de leurs douze enfants.
Les registres montrent aussi que l’épidémie voyage au-delà des frontières canadiennes par l’entremise des fréquents va-et-vient des Canadiens français émigrés dans le nord des États-Unis. Le curé de Marieville, en Montérégie, enregistre en février 1833 le décès d’Édouard Bérard, 11 ans, « décédé le vingt quatre août dernier à Franklin, comté de Franklin État de Vermont du colera n’ayant pu le rendre plutôt ». Les registres montrent en effet que le dernier-né de la famille, Marcel, né à Franklin, avait été baptisé à Marieville le 13 juin 1832. Les circonstances portent à croire que c’est à l’occasion de ce voyage familial que la contagion aurait atteint le jeune Édouard.
L’épidémie connaît une seconde vague en 1834, qui sera néanmoins beaucoup moins meurtrière que la première. C’est à cette occasion que les registres de St-Luc-de-la-Grosse-Île s’ouvrent et commencent à consigner baptêmes, mariages, mais surtout sépultures des Irlandais cholériques en quarantaine sur l’île.
« Le présent registre contenant dix-huit feuillets, celui-ci compris, a été par nous l’un des Juges de la Cour du Banc du Roi pour le district de Québec, soussigné cotté et paraphé par chaque feuillet, pour servir à l’enregistrement des actes de Baptêmes, Mariages et Sépultures, qui se feront à la Station de Quarantaine établie à la Grosse-Isle, la dite isle dépendante de la desserte de St. Antoine de l’Isle aux Grues.
Québec, 24 mai 1834. »
Image d1p_10090097, Registres du Fonds Drouin (/Québec/Fonds Drouin/G/Grosse-Île/Grosse-Île (St-Luc)/1830/1834/), GenealogieQuebec.com
Le choléra reviendra au Québec dans le cadre de la troisième pandémie en 1849 et en 1854. Cet épisode sombre cache son lot d’histoires tragiques, mais a permis d’innover en termes de mesures de santé publique, notamment par la création du poste de quarantaine de Grosse-Île et du Bureau de santé. Le savoir et les compétences acquis durant cette période seront précieux dans la gestion des épidémies subséquentes.
Marielle Côté-Gendreau Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.
La guerre de Sept Ans (1756-1763) a marqué un tournant dans l’histoire de la Nouvelle-France, qui change alors de mains. La première partie de cet article narrait, par l’entremise des registres paroissiaux de l’Église catholique, les événements qui ont mené à l’assaut de la ville de Québec par les troupes britanniques et leurs impacts sur la population de la Nouvelle-France.
Nous reprenons l’histoire en septembre 1759, à l’occasion de la bataille des Plaines d’Abraham. Après un débarquement réussi à l’Anse-au-Foulon, à l’ouest de Québec, les troupes britanniques accèdent aux hauteurs de Québec, où elles s’installent sur les Plaines d’Abraham. Le conflit atteint alors son apogée.
Cette gravure de 1797 est basée sur une esquisse exécutée par Hervey Smyth, aide-de-camp du général Wolfe durant le siège de Québec. Vue de la prise de Québec, le 13 septembre 1759.
L’affrontement se solde par une victoire britannique et le décès des deux commandants ennemis, les généraux Montcalm et Wolfe. La sépulture de Montcalm est effectivement enregistrée dans les livres de Notre-Dame-de-Québec, avec tous les honneurs dus à son rang :
« a été inhumé dans l’Eglise des Religieuses ursulines de Québec haut et puissant Seigneur Louis-Joseph Marquis de Moncalm Lieutenant Général des armées du Roy, Commandeur de l’ordre Royal et militaire de St Louis, Commandant en chef des troupes de terre en l’Amérique Septentrionale décédé le même jour de ses blessures au combat de la veille, muni des sacrements qu’il a reçus avec beaucoup de piété et de Religion »
Les titres de noblesses côtoient dans ces registres les descriptions les plus anonymes. On y trouve par exemple cette curieuse sépulture d’un soldat inconnu.
« un soldat français dont je n’ai pu savoir le nom ni le régiment, tout ce qu’une personne a pu m’en dire, c’est qu’avant sa maladie il portait la perruque, et qu’ayant été blessé au combat du treize de ce mois, il avait été embarqué sur un navire Anglais où il est mort en rade. »
On tend toutefois à oublier que ce n’est pas sur les Plaines d’Abraham que se joue l’ultime manche de ce bras de fer entre les Britanniques et les Français. Alors que Québec est occupée, les commandants français demandent au roi des renforts pour assurer la reconquête de la ville au printemps. Le 28 avril 1760 se déroule la bataille de Sainte-Foy, remportée par les Français contre une armée britannique diminuée par les rigueurs de l’hiver, occasionnant des pertes importantes dans les deux camps.
Liste des décès répertoriés à l’Hopital général de Québec après la bataille de Sainte-Foy. Source: Recherche dans le LAFRANCE, GenealogieQuebec.com.
Cependant, les renforts espérés par les Français n’arriveront jamais et le premier navire à atteindre Québec à la fonte des glaces est anglais. Les Français sont forcés de retraiter vers Montréal, où est signée la capitulation le 8 septembre 1760. Le traité de Paris de 1763, qui met un terme à la guerre de Sept Ans, officialise l’abandon de la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne.
Les traces de la guerre de Sept Ans dans les registres paroissiaux ne sont toutefois pas toutes aussi morbides. La cohabitation entre les militaires de l’armée britannique et la population locale occasionne aussi de nouveaux baptêmes et mariages. Le baptême suivant, daté du 21 novembre 1760, est celui de Guillaume, « anglais dont le père et la mère sont inconnus », une formule standard pour les enfants illégitimes.
On apprend cependant au mariage de ses parents en 1765 que cette petite Élisabeth est née d’un père suisse servant dans les troupes britanniques et d’une mère canadienne.
Des registres paroissiaux surgissent donc les premiers indices des transformations et bouleversements qui marqueront la population canadienne à l’aube d’une nouvelle ère. La guerre a certes causé la mort de nombreux jeunes gens, mais elle apporte aussi sur les rives du Saint-Laurent de nouveaux habitants. Pouvez-vous aussi discerner, dans votre propre histoire familiale, les conséquences de la Conquête?
Marielle Côté-Gendreau Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.
Les conflits opposant les colonies françaises d’Amérique du Nord aux Britanniques, puis aux Américains, ont forgé leur destin. Les traces de ces conflits sont toujours perceptibles dans les registres paroissiaux, une véritable constante à travers des siècles de changements. Cet article est le premier d’une série ayant pour objectif d’illustrer la puissance historiographique des registres paroissiaux à l’aide de l’outil LAFRANCE de GenealogieQuebec.com et de PRDH-IGD.com.
La guerre de Sept Ans (1756-1763), qui se solde au Québec par la Conquête, bouleverse la jeune colonie alors que la Nouvelle-France devient britannique. Cependant, en dépit des troubles, les prêtres continuent de consigner dans les registres paroissiaux les moments marquants des vies de leurs paroissiens. Ces actes, qui font la richesse de la généalogie canadienne-française, recèlent aussi un trésor historique en révélant l’impact de la guerre sur la population de la vallée du Saint-Laurent.
Dès 1755 sont envoyés en Amérique des régiments militaires en provenance de France pour soutenir le Canada devant la menace britannique alors que les hostilités s’intensifient. La présence de ces soldats en sol américain ne passe pas inaperçue : tout au long de la guerre de Sept Ans, nombre de décès, mais aussi de mariages, sont enregistrés dans les registres paroissiaux. En effet, certains font le choix de s’établir au Québec de façon permanente et constituent le dernier apport migratoire à la population canadienne sous le régime français. L’acte suivant célèbre le mariage, le 11 février 1759 à Charlesbourg, de « jean Schoumarcker dit prêtaboire soldat de la compagnie de la Brenne au régiment de Berry […] et de marie joseph richard ».
Ces soldats sont généralement bien identifiés dans les actes, par leur nom et par leur régiment. À quelques exceptions près : au mois de février 1756, quelques mois après son arrivée, un « jeune soldat du Regiment de Languedoc » se noie dans les eaux du Richelieu. Le prêtre omet son nom mais note que son capitaine, le Sieur Guyon, a pu attester de sa catholicité!
Les nations amérindiennes jouent aussi un rôle prépondérant dans cette guerre, d’où son nom anglais de French and Indian War. Cet acte en fait foi : on y apprend le décès à l’été 1758 de Jean-Baptiste, « sauvage micquemaque », au Fort Saint-Jean, à Saint-Jean-sur-Richelieu, au retour d’un « combat donné contre les anglais » au Fort Carillon, au sud du lac Champlain dans l’actuel État de New York.
La menace britannique en Nouvelle-France se fait inquiétante à l’été 1759, alors que l’ennemi remonte le fleuve Saint-Laurent avec l’objectif de prendre Québec. Le 31 juillet, après deux semaines de bombardements, se déroule le premier affrontement pour Québec, la bataille de Montmorency (ou de Beauport), qui se conclue à l’avantage des Français.
Le mois d’août est marqué par une campagne de terreur de la part des Britanniques, qui saccagent les villages de la côte dans l’espoir de forcer l’armée française à quitter la protection des murs de Québec. Baie-Saint-Paul fait les frais de ces attaques : le curé note le décès de Charles Desmeules, « tué et la chevelure levée […] a la pointe d’aulne par les anglais ou ils firent descente et brulerent tout le bas de la baie st paul », mais aussi ceux de « plusieurs enfants morts dans le temps que nous étions dans les bois, réfugiés », alors que « les Anglais étaient à l’Isle aux coudres et a quebec ».
Saint-Joachim perd son curé, « massacré par les anglais le 23 de ce mois etant a la tete de sa paroisse pour la deffendre des incursions et hostilites que faisait l’ennemi ».
De part et d’autre du fleuve Saint-Laurent, les registres paroissiaux traduisent l’urgence de la situation : enterrés en hâte et « sans cérémonie à cause des anglais », plusieurs corps sont exhumés et inhumés de nouveau après la fin des conflits.
Le conflit atteint son apogée en septembre 1759, à l’occasion de la bataille des Plaines d’Abraham. L’armée britannique, l’armée française, les guerriers amérindiens et la milice canadienne, formée d’habitants, s’affronteront près de Québec pour la possession de la ville. Cette bataille et les événements subséquents seront abordés dans la seconde partie de cet article.
Marielle Côté-Gendreau Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.
Au Canada français, le calendrier religieux rythme la vie quotidienne jusqu’au 20e siècle. Cette influence est aussi perceptible dans le choix des prénoms donnés aux enfants.
L’ensemble des baptêmes enregistrés au Québec entre 1621 et 1849, disponibles sur PRDH-IGD, permettent de rendre compte de ce phénomène. Les Noël, Noëlla et autres Marie-Noëlle du 25 décembre en sont l’exemple le plus connu. Nous nous sommes livrés à un exercice original, celui de partir sur les traces des fêtes religieuses et autres événements saisonniers du Canada français par l’entremise du répertoire des baptêmes.
L’année commence avec un prénom fort approprié : sans grande surprise, la moitié des Janvier nés entre 1621 et 1849 sont baptisés en janvier. La fête des Rois, ou Épiphanie, laisse aussi sa marque sur le calendrier des naissances, alors que 22% des Épiphane et Épiphanie sont baptisés dans les deux jours précédant ou suivant le 6 janvier.
Une recherche pour Épiphane / Épiphanie sur PRDH-IGD.com, avec les baptêmes de début janvier en évidence.
Le carême, qui s’étend du Mercredi des Cendres au jour de Pâques, et le temps pascal, qui dure ensuite jusqu’à la Pentecôte, revêtent une grande importance dans le calendrier catholique. Conséquemment, 43% des Pascal sont nés en mars ou en avril. La coutume veut qu’on ne se marie pas durant le carême; une exception est habituellement justifiée par une dispense du temps prohibé, accordée par l’évêque.
L’analyse des baptêmes canadiens-français permet de mettre en évidence certains changements dans le calendrier catholique. Par exemple, la Saint-Benoît est, depuis le concile de Vatican II (1962-1965), fêtée le 11 juillet. Or, c’est bien le 21 mars que Benoît de Nursie est célébré au Canada français, alors que 21% des Benoît sont baptisés dans les deux jours précédant ou suivant cette date.
L’effet est même perceptible pour des prénoms très communs, comme Jean-Baptiste, qui rappelle celui qui est le patron des Canadiens français depuis 1908. Cependant, les célébrations de la Saint-Jean-Baptiste, qui coïncident avec le solstice d’été, sont beaucoup plus anciennes. Les Relations des Jésuites rapportent un feu de la Saint-Jean dès le soir du 23 juin 1636. Cette fête a une portée nationale depuis au moins le 19e siècle. C’est le 24 juin 1834 que le chant patriotique Ô Canada! Mon pays, mes amours est présenté pour la première fois. Il ne doit pas être confondu avec le Ô Canada, composé à l’occasion de la Saint-Jean-Baptiste de 1880. L’actuel hymne national célébrait alors le peuple canadien-français, qui grandit « sous l’œil de Dieu, près du fleuve géant ». Malgré que Jean-Baptiste soit un prénom très commun à l’année longue, on observe un pic dans les jours entourant le 24 juin.
Une découverte plus surprenante est la concentration des Augustin au mois d’août. Cette pratique, qui n’est pas d’origine religieuse, tient plutôt au lien étymologique entre août et Augustin, les deux dérivant du latin augustus. 12% des Augustin de l’année naissent pendant ce mois. Cette proportion monte à plus de 22% dans l’élite canadienne-française, qui regroupe par exemple les seigneurs, les avocats, les notaires ou les marchands. Le statut social est tiré du métier du père, généralement indiqué dans les actes de baptême. Cette information, lorsque fournie, est souvent disponible dans les fiches d’actes consultables sur PRDH-IGD (Qu’est-ce que PRDH-IGD?).
Fiche de baptême PRDH-IGD d’un Augustin né en août d’un père juge de profession
La Toussaint, célébrée le 1er novembre, commémore, comme son nom le laisse deviner, l’ensemble des saints. Les cinq jours l’entourant rassemblent près du tiers des 4279 Toussaint répertoriés entre 1621 et 1849. L’influence du calendrier religieux sur les prénoms n’est pas spécifique au Canada français : on l’observe aussi chez les pionniers français. Par exemple, Toussaint Giroux, dont descendent la plupart des Giroux d’Amérique, est baptisé le 2 novembre 1633 à Réveillon, dans le Perche.
Fiche d’individu PRDH-IGD de Toussaint Giroux.
La Toussaint pave la voie pour plusieurs célébrations pendant les mois de novembre et décembre, d’autant plus importantes qu’elles marquent la fin des activités agricoles.
Martinest un autre prénom d’une relative popularité qui attire à sa fête une proportion importante des naissances : 21%. La Saint-Martin, célébrée le 11 novembre, est en effet un jour important tant dans le calendrier religieux qu’agricole. Le prêtre et historien Lionel Groulx aborde dans Chez nos ancêtres (1920) la bien nommée criée de la Saint-Martin : alors que les récoltes sont finies, le seigneur accepte de ses censitaires les redevances dues. La réception, tenue au manoir seigneuriale, est décrite par Philippe Aubert de Gaspé dans Les anciens Canadiens, connu comme l’un des premiers romans québécois.
À l’instar de Jean-Baptiste, le commun Catherineest influencé par la fête de sa patronne : plus de 5% des naissances se groupent autour du 25 novembre, une fête religieuse et culturelle importante depuis la Nouvelle-France. La fameuse tire de la Sainte-Catherine, qu’on attribue à sainte Marguerite Bourgeoys, dont on connaît le rôle proéminent dans la fondation de Montréal, est une tradition culinaire canadienne-française qui perdure jusqu’aujourd’hui.
Noël et ses dérivés sont l’archétype du prénom calendaire : près de 40% des 3395 baptêmes sont concentrés dans les 5 jours entourant le 25 décembre. L’année s’achève avec la Saint-Sylvestre, jour du réveillon du Nouvel An, autour de laquelle naissent 43% de tous les Sylvestre québécois de l’époque.
Proportion de baptêmes à proximité de la date associée à quelques prénoms dans les actes de baptêmes disponibles sur PRDH-IGD.com
Prénom
Jour associé
Pourcentage de baptêmes dans un intervalle de cinq jours (%) *
Nombre de baptêmes
Janvier
Janvier
49,3
452
Épiphan(i)e
6 janvier
22,0
162
Agathe
5 février
5,4
3 541
Scholastique
10 février
6,0
2 741
Valentin
14 février
29,3
165
Patrice
17 mars
22,8
631
Patrick
6,5
1 981
Benoît
21 mars
21,1
690
Pascal
Mars et avril
43,2
2 558
(Jean) Baptiste
24 juin
2,9
53 506
Augustin
Août
12,0
11 371
Michel(le)
29 septembre
10,0
17 310
Rémi
1er octobre
7,2
1 445
Thérèse
15 octobre
3,1
9 222
Ursule
21 octobre
3,9
4 499
Toussaint
1er novembre
29,9
4 279
Martin
11 novembre
21,3
1 255
Cécile
22 novembre
6,5
3 444
Catherine
25 novembre
5,4
20 718
André
30 novembre
4,0
7 645
(François) Xavier
3 décembre
4,1
17 019
Noël et dérivés
25 décembre
38,9
3 395
Étienne
26 décembre
6,2
9 088
Sylvestre
31 décembre
42,6
295
* Dans le cas des prénoms référant à un mois, le nombre présent dans cette colonne indique le pourcentage de baptêmes célébrés dans ce mois.
Cet exercice, réalisé à partir des données exceptionnellement bien conservées des Registres du Fonds Drouin indexées sur Généalogie Québec et PRDH-IGD, met en lumière l’influence du calendrier, notamment le calendrier religieux, sur les prénoms donnés. En portant une attention renouvelée au lien entre le prénom et la date de naissance ou de baptême, vous serez probablement en mesure de donner vous aussi un sens aux prénoms de certains de vos ancêtres.
Marielle Côté-Gendreau Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.
Vos recherches généalogiques vous ont peut-être donné l’impression que vos ancêtres changeaient de noms et de prénoms comme de chemise. Le concept des « noms dit », abordé dans un précédent article de blog, éclaire une partie de cette variation parfois obscure aux yeux d’un observateur du 21e siècle.
Si le baptême a constitué pendant quatre siècles la pierre angulaire de l’existence civile au Canada français, cette identité était jusqu’au début du siècle dernier beaucoup moins contraignante qu’aujourd’hui. Il n’était donc pas inhabituel d’observer une certaine variation dans les noms et prénoms utilisés par un individu au cours de sa vie, phénomène favorisé par l’instabilité orthographique des noms propres, un système d’enregistrement civil moins restrictif et l’analphabétisme.
Sous la lumière de la linguistique, cet article abordera quelques astuces à garder en tête afin de retracer toutes les occurrences de vos ancêtres dans les archives.
Ne pas se fier à l’orthographe
Ce conseil peut paraître anodin pour le généalogiste averti, mais il convient de le rappeler. Par exemple, l’ancêtre des Hétu actuels signait son nom Estur. Le ‹ s › ainsi que le ‹ r ›, qui ne se prononçaient plus, constituaient des reliques orthographiques, comme il en existe tant en français. Le ‹ h › est une lettre ornementale, ajoutée au fil des ans.
Il ne faut pas non plus systématiquement attribuer la variation orthographique à l’analphabétisme. L’exemple des Hénault est parlant. Quatre membres d’une famille de notables éduqués apposaient en 1816 leur signature au bas de l’acte de mariage d’Honoré Hénault et Julienne Mailloux, orthographiant leur nom de trois manières différentes : Hénault, Heneault et Eno. Le prêtre a choisi quant à lui une variante désaccentuée avec Henault.
Acte de mariage d’Honoré Henault et Julienne Mailloux tiré de l’outil LAFRANCE de GenealogieQuebec.com
Avant la fixation des noms propres, leur graphie relevait, dans une certaine mesure, du goût du porteur du nom, du prêtre ou du notaire.
Garder en tête que la langue change
La plupart des Dion d’aujourd’hui sont des descendants patronymiques de Jean Guyon. Comment est-ce possible? Notons d’abord que Guyon se prononce Gui-yon et non Gü-yon. De nos jours, le ‹ g › dur s’articule à l’arrière du palais, et le ‹ d › s’articule derrière les incisives supérieures. Cependant, par le passé, le ‹ g ›, lorsque suivi par une voyelle prononcée à l’avant de la bouche, comme le ‹ i ›, tendait à se déplacer vers l’avant. Ce processus linguistique a induit un glissement de Guyon à Dion.
Guyot, qui, comme Guyon, dérive du prénom Guy, a vécu une transformation parallèle en donnant naissance à Diotte. Certains noms ont cependant parcouru le chemin inverse : Pierre Andiran est l’ancêtre de tous les Languirand.
De la même façon, les Chiasson et Giasson partagent la même souche. Seule la vibration des cordes vocales en début de mot sépare ces deux noms. En l’absence d’une orthographe fixée, cette caractéristique phonétique était susceptible de fluctuer selon les régions, les époques et les individus. Ainsi, à l’instar de Guyon et Dion, il faut voir en cette paire de noms les deux faces d’une même pièce.
Les voyelles ont aussi été affectées par des changements linguistiques. Peut-être serez-vous surpris d’apprendre que les Harvey du Québec n’ont pas, pour la plupart, hérité leur nom d’un immigrant anglo-saxon. Leur nom est plutôt issu d’une transformation vocalique du nom Hervé.
Être à l’affût de sons effacés ou ajoutés
L’absence d’une norme orthographique stricte en ce qui concerne les noms propres favorise la variation orale. C’est donc tout naturellement que certains sons et syllabes, selon leur position dans le mot, tendent à apparaître ou disparaître.
Une cause d’ajout est l’introduction des articles définis le, la et l’ devant les noms de famille : il était de coutume d’appeler les gens le Gagnon, la Corriveau ou alors l’Andiran. La réinterprétation de cette structure en une forme fusionnée achève d’expliquer la transformation d’Andiran en Languirand.
Prononcez maintenant à voix haute Reguindeau, puis Reyindeau. Vous remarquerez probablement la proximité entre ces deux formes, et la facilité de passer de l’une à l’autre. Cette transformation du ‹ g › dur en ‹ y › est un exemple de palatalisation; le même phénomène lie gueule à yeule. Vous aurez peut-être reconnu le nom de famille Riendeau, hérité du pionnier rochelais Joachim Reguindeau.
Le pionnier François Amirault dit Tourangeau offre un autre exemple d’élision en laissant parmi ses descendants des Amirault, mais surtout des Mireault, avec toutes leurs variantes orthographiques. Le phénomène inverse s’observe avec le prénom féminin Zélie, dont est née la variante Azélie.
L’alternance entre des prénoms qui ne sont essentiellement distingués que par quelques sons ou syllabes supplémentaires s’observe sans égard à la parenté étymologique. Au Canada français, Élisabeth et son dérivé ancien Isabelle se sont comportées comme deux variantes d’un même prénom jusqu’au 19e siècle. Inversement, Domitille et Mathilde, Jérémie et Rémi, Apolline et Pauline ainsi que Napoléon, Paul et Léon ne sont pas étymologiquement reliés.
Repérer les consonnes, voyelles et syllabes partagées
Au-delà des segments tronqués, certains noms ont des similitudes plus subtiles qui expliquent qu’ils ont souvent été confondus, et parfois même utilisés de façon interchangeable.
Apolline et Hippolyte, Jérémie et Germain, Mathilde et Martine ainsi qu’Alice et Élise illustrent ce phénomène. Dans d’autres cas, les ressemblances semblent encore plus ténues. Il est peu probable qu’un généalogiste d’aujourd’hui perçoive spontanément un lien entre Angélique, Julie et Judith; les registres montrent toutefois que ces trois prénoms ont souvent été utilisés en alternance par les mêmes femmes.
Toutes les apparitions de Marie Angélique (Judith, Julie) Desgranges dans les actes de PRDH-IGD.com, qui illustre l’interchangeabilité de ces prénoms au fil des actes.
Se concentrer sur la partie la plus distinctive
Un prénom avec une terminaison peu commune est susceptible d’être substitué par d’autres prénoms partageant cette caractéristique. C’est le cas de David et Ovide ou de Stanislas et Wenceslas.
La partie la plus distinctive d’un prénom, ou même d’un de famille, est parfois un noyau qui peut être complété par divers préfixes et suffixes. Ainsi, Rose se décline en Rosalie, Rosanna, Rosina et Rosa. Les prénoms féminins structurés autour du noyau ‹ del › sont un autre exemple de ce phénomène. En variant les débuts et terminaisons, ce groupe réunit Adèle, Adélaïde, Adeline, Délie, Délina, Délia, Délima, Odeline et même Odile, des prénoms qui ne sont pas tous étymologiquement liés mais qui en sont venus à se ressembler et parfois s’échanger.
De la même façon, il n’est pas surprenant que Brunet soit occasionnellement remplacé par Bruneau ou Brunel, ou que Gendreau alterne avec Gendron.
Connaître les combinaisons de prénoms inspirées des saints
Pour éclaircir ce dernier type de variation, il faut faire appel à la religion plutôt qu’à la linguistique. Certains saints et bienheureux portent des prénoms composés de plusieurs particules, le plus connu étant sans aucun doute Jean Baptiste. Un individu est alors susceptible d’utiliser l’une ou l’autre de ces particules. Ainsi, Rose de Lima offre comme options Rose et ses cousines Rosalie, Rosanna, Rosa de même que Délima et même Délina.
François Xavier, Jean François Régis, Pierre Chrysologue, Jeanne (Françoise Frémyot) de Chantal ou encore Marie des Anges, parmi tant d’autres, invitent eux aussi à une alternance entre les particules qui les composent.
La fonction ressemblance dans le LAFRANCE et sur PRDH-IGD.com
La fonction « Ressemblance » de l’engin de recherche du PRDH-IGD.com et du LAFRANCE de GenealogieQuebec.com permet de neutraliser certaines de ces variations.
Engin de recherche de PRDH-IGD.com avec la fonction Ressemblance activée.
Par exemple, la recherche de Mathilde en utilisant cette fonction génèrera une liste comprenant des Mathilde, Domitille, Martine, Donatille, Mélitime, Métheldée et Militilde, avec leurs diverses graphies, facilitant ainsi grandement la tâche des généalogistes.
Marielle Côté-Gendreau Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.