Vos recherches généalogiques vous ont peut-être donné l’impression que vos ancêtres changeaient de noms et de prénoms comme de chemise. Le concept des « noms dit », abordé dans un précédent article de blog, éclaire une partie de cette variation parfois obscure aux yeux d’un observateur du 21e siècle.
Si le baptême a constitué pendant quatre siècles la pierre angulaire de l’existence civile au Canada français, cette identité était jusqu’au début du siècle dernier beaucoup moins contraignante qu’aujourd’hui. Il n’était donc pas inhabituel d’observer une certaine variation dans les noms et prénoms utilisés par un individu au cours de sa vie, phénomène favorisé par l’instabilité orthographique des noms propres, un système d’enregistrement civil moins restrictif et l’analphabétisme.
Sous la lumière de la linguistique, cet article abordera quelques astuces à garder en tête afin de retracer toutes les occurrences de vos ancêtres dans les archives.
Ne pas se fier à l’orthographe
Ce conseil peut paraître anodin pour le généalogiste averti, mais il convient de le rappeler. Par exemple, l’ancêtre des Hétu actuels signait son nom Estur. Le ‹ s › ainsi que le ‹ r ›, qui ne se prononçaient plus, constituaient des reliques orthographiques, comme il en existe tant en français. Le ‹ h › est une lettre ornementale, ajoutée au fil des ans.
Il ne faut pas non plus systématiquement attribuer la variation orthographique à l’analphabétisme. L’exemple des Hénault est parlant. Quatre membres d’une famille de notables éduqués apposaient en 1816 leur signature au bas de l’acte de mariage d’Honoré Hénault et Julienne Mailloux, orthographiant leur nom de trois manières différentes : Hénault, Heneault et Eno. Le prêtre a choisi quant à lui une variante désaccentuée avec Henault.
Avant la fixation des noms propres, leur graphie relevait, dans une certaine mesure, du goût du porteur du nom, du prêtre ou du notaire.
Garder en tête que la langue change
La plupart des Dion d’aujourd’hui sont des descendants patronymiques de Jean Guyon. Comment est-ce possible? Notons d’abord que Guyon se prononce Gui-yon et non Gü-yon. De nos jours, le ‹ g › dur s’articule à l’arrière du palais, et le ‹ d › s’articule derrière les incisives supérieures. Cependant, par le passé, le ‹ g ›, lorsque suivi par une voyelle prononcée à l’avant de la bouche, comme le ‹ i ›, tendait à se déplacer vers l’avant. Ce processus linguistique a induit un glissement de Guyon à Dion.
Guyot, qui, comme Guyon, dérive du prénom Guy, a vécu une transformation parallèle en donnant naissance à Diotte. Certains noms ont cependant parcouru le chemin inverse : Pierre Andiran est l’ancêtre de tous les Languirand.
De la même façon, les Chiasson et Giasson partagent la même souche. Seule la vibration des cordes vocales en début de mot sépare ces deux noms. En l’absence d’une orthographe fixée, cette caractéristique phonétique était susceptible de fluctuer selon les régions, les époques et les individus. Ainsi, à l’instar de Guyon et Dion, il faut voir en cette paire de noms les deux faces d’une même pièce.
Les voyelles ont aussi été affectées par des changements linguistiques. Peut-être serez-vous surpris d’apprendre que les Harvey du Québec n’ont pas, pour la plupart, hérité leur nom d’un immigrant anglo-saxon. Leur nom est plutôt issu d’une transformation vocalique du nom Hervé.
Être à l’affût de sons effacés ou ajoutés
L’absence d’une norme orthographique stricte en ce qui concerne les noms propres favorise la variation orale. C’est donc tout naturellement que certains sons et syllabes, selon leur position dans le mot, tendent à apparaître ou disparaître.
Une cause d’ajout est l’introduction des articles définis le, la et l’ devant les noms de famille : il était de coutume d’appeler les gens le Gagnon, la Corriveau ou alors l’Andiran. La réinterprétation de cette structure en une forme fusionnée achève d’expliquer la transformation d’Andiran en Languirand.
Prononcez maintenant à voix haute Reguindeau, puis Reyindeau. Vous remarquerez probablement la proximité entre ces deux formes, et la facilité de passer de l’une à l’autre. Cette transformation du ‹ g › dur en ‹ y › est un exemple de palatalisation; le même phénomène lie gueule à yeule. Vous aurez peut-être reconnu le nom de famille Riendeau, hérité du pionnier rochelais Joachim Reguindeau.
Le pionnier François Amirault dit Tourangeau offre un autre exemple d’élision en laissant parmi ses descendants des Amirault, mais surtout des Mireault, avec toutes leurs variantes orthographiques. Le phénomène inverse s’observe avec le prénom féminin Zélie, dont est née la variante Azélie.
L’alternance entre des prénoms qui ne sont essentiellement distingués que par quelques sons ou syllabes supplémentaires s’observe sans égard à la parenté étymologique. Au Canada français, Élisabeth et son dérivé ancien Isabelle se sont comportées comme deux variantes d’un même prénom jusqu’au 19e siècle. Inversement, Domitille et Mathilde, Jérémie et Rémi, Apolline et Pauline ainsi que Napoléon, Paul et Léon ne sont pas étymologiquement reliés.
Repérer les consonnes, voyelles et syllabes partagées
Au-delà des segments tronqués, certains noms ont des similitudes plus subtiles qui expliquent qu’ils ont souvent été confondus, et parfois même utilisés de façon interchangeable.
Apolline et Hippolyte, Jérémie et Germain, Mathilde et Martine ainsi qu’Alice et Élise illustrent ce phénomène. Dans d’autres cas, les ressemblances semblent encore plus ténues. Il est peu probable qu’un généalogiste d’aujourd’hui perçoive spontanément un lien entre Angélique, Julie et Judith; les registres montrent toutefois que ces trois prénoms ont souvent été utilisés en alternance par les mêmes femmes.
Se concentrer sur la partie la plus distinctive
Un prénom avec une terminaison peu commune est susceptible d’être substitué par d’autres prénoms partageant cette caractéristique. C’est le cas de David et Ovide ou de Stanislas et Wenceslas.
La partie la plus distinctive d’un prénom, ou même d’un de famille, est parfois un noyau qui peut être complété par divers préfixes et suffixes. Ainsi, Rose se décline en Rosalie, Rosanna, Rosina et Rosa. Les prénoms féminins structurés autour du noyau ‹ del › sont un autre exemple de ce phénomène. En variant les débuts et terminaisons, ce groupe réunit Adèle, Adélaïde, Adeline, Délie, Délina, Délia, Délima, Odeline et même Odile, des prénoms qui ne sont pas tous étymologiquement liés mais qui en sont venus à se ressembler et parfois s’échanger.
De la même façon, il n’est pas surprenant que Brunet soit occasionnellement remplacé par Bruneau ou Brunel, ou que Gendreau alterne avec Gendron.
Connaître les combinaisons de prénoms inspirées des saints
Pour éclaircir ce dernier type de variation, il faut faire appel à la religion plutôt qu’à la linguistique. Certains saints et bienheureux portent des prénoms composés de plusieurs particules, le plus connu étant sans aucun doute Jean Baptiste. Un individu est alors susceptible d’utiliser l’une ou l’autre de ces particules. Ainsi, Rose de Lima offre comme options Rose et ses cousines Rosalie, Rosanna, Rosa de même que Délima et même Délina.
François Xavier, Jean François Régis, Pierre Chrysologue, Jeanne (Françoise Frémyot) de Chantal ou encore Marie des Anges, parmi tant d’autres, invitent eux aussi à une alternance entre les particules qui les composent.
La fonction ressemblance dans le LAFRANCE et sur PRDH-IGD.com
La fonction « Ressemblance » de l’engin de recherche du PRDH-IGD.com et du LAFRANCE de GenealogieQuebec.com permet de neutraliser certaines de ces variations.
Par exemple, la recherche de Mathilde en utilisant cette fonction génèrera une liste comprenant des Mathilde, Domitille, Martine, Donatille, Mélitime, Métheldée et Militilde, avec leurs diverses graphies, facilitant ainsi grandement la tâche des généalogistes.
Marielle Côté-Gendreau
Étudiante et collaboratrice au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.